• Récit (2)

    Mais après, quand le balai sera usagé, crotté et puant, qu'adviendra-t-il de toi et de tes enfants ? Comment peux-tu coltiner une chiffe pareille toute ta vie ? C'est une tartine où d'autres ont léché la confiture. Ah ! Quand le balai est neuf il enlève bien la poussière..

    Détaché du milieu agricole, vêtu d'un costume saillant, exhalant le savon et non cette odeur de graisse rance qui se conjugue avec les moindres mouvements du paysan ordinaire, Pierre Quader exhibait quelques manières distinguées ou incongrues, c'est selon, comme papilloter ; ni les gens des villes ni les gens des champs ne s'extasiaient réellement parce que pour les premiers, encore insuffisamment digérées, cela surprenait de voir singer ces simagrées par un rustaud à l'air empêtré et pour les seconds on ressentait ses attitudes comme étant quelque peu méprisantes à l'égard des « cul-terreux » lorsque après une escapade en ville il séjournait quelques temps au village.

    Cependant il ne parvint jamais à accéder vraiment comme partie prenante au cercle des citadins qu'il côtoyait et, écarté de sa mentalité et de ses racines paysannes, il était mal à l'aise partout, considéré par les autres et par lui-même comme étant différent et « à part » ; à certaines occasions cela se traduisait par un sentiment de supériorité puis en d'autres circonstances par un sentiment d'incompréhension : il jaugeait les citadins et les accusait de ridicules car ils n'avaient pas le sens profond des choses de la terre et des réalités, et se situait hiérarchiquement au-dessus des campagnards qui avaient une vue bornée du monde. Ces sentiments étaient encore accentués par son esprit d'indépendance qui se confirmait par le refus constant pendant sa vie d'opter pour un emploi de simple ouvrier spécialisé dans une grande industrie préférant de loin un emploi chez un petit patron dans une entreprise modeste, endroit où il lui paraissait plus aisé de baigner dans une ambiance familiale.

    « Vie de seconde zone » : ces mots qualifient bien l'existence amoindrie, retirée sur elle-même et grignotée par les autres, par son père, puis son mari et ses enfants, qu'a toujours eu Thérèse Ditz : elle n'a jamais vécu pour elle-même. Par la force de l'habitude, peut-être aussi par le choix d'une certaine facilité, elle incorporait cette façon de consentir à son destin sans rémission tel que les autres, n'importe quels autres, en décidaient comme si elle dédaignait sa propre vie. On ne départageait plus ce qui provenait de sa volonté personnelle et ce qu'on exigeait d'elle de l'extérieur et cette soumission devenait quelque chose de naturel.

    Elle témoignait dans la misère la plus extrême d'un sang froid surprenant. Alors qu'elle avait quatre enfants en bas âge, que l'argent était rare au foyer, et qu'elle préparait les deux dernières semaines de chaque mois pour opérer la soudure avec le salaire du mois suivant, du repas de midi, une casserole de semoule bouillie à l'eau, une sorte de ciment peu fortifiant mais qui calmait l'appétit et lestait l'estomac jusqu'au soir, et au repas du soir, des tranches de pain beurrées avec des rondelles de saucisson salé – dénombrées avec une grande parcimonie : deux ou trois morceaux fins par personne, pas plus – elle supportait en souffrant silencieusement les « j'ai faim » relatifs à l'incompréhension évidente de la situation par des âmes infantiles ; ou bien encore ses enfants trottaient en plein coeur de l'hiver, par temps de pluie ou de neige, avec des vieilles chaussures au pied, percées sous la semelle de trous gros comme l'ongle du pouce, obstrués chaque soir à l'aide d'un nouveau morceau de linoléum ce qui ne leur évitait pas les pieds humides et transis toute la journée.

    Dans ces occasions de très grandes difficultés, Thérèse Ditz indiquait une fierté impassible et admirable – « Je me bute alors comme un taureau » disait-elle – que concluaient de fortes tensions exacerbées et des dépressions qui la minaient à petit feu car, depuis son mariage, seule comme une recluse, personne ne prêtait une oreille charitable à ses soucis ou ébauchait un geste de secours. Pour ne pas être anéantie elle se raccrochait à une idée fixe concernant ses origines sociales, dont elle ne démordait pas et cela lui était si agréable que l'on n'avait jamais aucun scrupule à abonder dans son sens : selon elle, son père était le propriétaire le plus nanti du village de Contz, ayant le plus grand nombre de terres et de têtes de bétail – « biens conquis forcément de façon malhonnête par mes aïeux » accordait-elle « car on ne s'enrichit que sur la ruine et la misère d'autrui ». Une espérance conjurait également le mauvais sort et ranimait la flamme : d'après elle, la richesse était un genre de loterie où l'on est vainqueur à tour de rôle et ses parents ayant été riches, il est prédit qu'inévitablement ses enfants ou ses petits-enfants goûteront au bien-être à leur tout.

    Elle étayait l'affirmation de cette aisance passée par ceci : son père embauchait lors des grands travaux, dans les bonnes périodes d'entre les deux guerres mondiales, deux ou trois ouvriers agricoles parfaitement heureux de s'activer pour lui parce qu'ils étaient mieux rémunérés que chez les autres paysans de la contrée et aussi se régalaient à la table du maître des lieux de rôti de boeuf et de lard de cochon à profusion, ce qui était alors un signe de superflu ; également lorsque des romanichels étaient de passage dans le village au printemps ou en été, ils recueillaient immanquablement dans la maison de son père des laitues de jardin, des fruits de saison, des oeufs et même parfois une poule.

    Néanmoins tributaire de cette mentalité diffuse et rétrograde énormément répandue en Lorraine, en particulier dans les campagnes, moins influençables par ce qui vient d'ailleurs, qui transparaît sous forme de froideur, d'indifférence et de méfiance – on camoufle le fond de sa pensée de peur de trop s'avancer, surtout relativement aux problèmes des ressources pécuniaires et des biens fonciers, car selon les préjugés du paysan, s'informer sur le propriétaire, la qualité et le prix d'une terre c'est déjà en être à demi le possesseur ou en tout cas lorgner sur elle – Thérèse Ditz n'a jamais avoué combien d'hectares de terre cultivait son père, se contentant d'un évasif « beaucoup ».

    Son père personnifiait parfaitement le paysan traditionnel : de haute stature, légèrement voûté sur la fin de sa viesans doute à force de labourer la terre, mais aussi du fait d'un accident, une vache capricieuse lui ayant écrabouillé une jambe et d'une tuberculose qui devait l'emporter – ses préoccupations prédominantes étaient la terre, encore la terre, toujours la terre, terre accaparée, amour de la terre triturée à la sueur du front. Les dogmes religieux tels l'existence ou non du dieu chrétien et d'un au-delà, les crises et les guerres, et autres fariboles, tout cela, dérisoire et passager, suscitait infiniment moins d'intérêt à ses yeux et de discussions quotidiennes. Il ordonnait le reste du monde autour de cette valeur unique, sa terre, qui déteignait sur lui et modelait une physionomie à son image ; lent et obstiné, il s'autorisait parfois un élan de prodigalité quand on dépistait le chemin de son coeur ou captait sa confiance. D'habitude ronchonnant, ses humeurs correspondaient aux conditions météorologiques. Entier et égoïste, il contemplait le monde à travers lui et pour lui-même – «  D'abord moi, ensuite moi et loin derrière moi, les autres » clamait-il. Il appréciait par-dessus tout les choses bien léchées et fignolées, patiemment et ardemment, et mesurait « son homme » à cela, les êtres humains se différenciant en deux catégories, ceux qui étaient taillés dans la même étoffe que lui, et tous les autres. Il avait rarement déserté sa terre et son village sauf pour visiter une fois l'an le marché à bestiaux dans le petit bourg de Sierck-les-bains, distant de trois kilomètres, et lors de sa vieillesse, alors oisif forcé, et son fils ayant repris le flambeau, il s'évadait à Metz chez sa fille demeurant dans cette ville après son mariage.

    Le seul voyage lointain le transportait en Russie des tsars alors qu'il avait tout juste vingt-cinq ans, pendant la première guerre mondiale, revêtu du costume de l'armée allemande de Guillaume II puisque alors le nord de la Lorraine était uni à l'Allemagne depuis 1871. Il défendait une raffinerie de sucre contre les attaques des soldats russes, sans hostilité particulière à l'égard de l'ennemi, effectuant seulement ce qu'il admettait être son devoir en échange de la tranquillité ultérieure pour vaquer à ses propres affaires. C'était un état d'esprit constant : ne jamais s'engager en quelque chose qui attire l'attention sur soi, pas d'originalité, pas d'initiative intempestive car c'est récolter des ennuis en perspective mais suivre le mouvement ! La seule anecdote qu'il adorait exposer parce qu'elle était cocasse et presque incroyable était à propos d'une balle d'un fusil russe qui sectionnait en deux la cigarette qu'il fumait paisiblement, par une nuit claire, debout dans la tranchée ; il avait sans doute honte pour les peurs et les horreurs subies et aussi de la pudeur pour les disparus, ce qui lui clouait le bec sur les autres événements de cette tranche de vie. Cette guerre eut deux conséquences pour lui : il s'accoutuma lors des détentes et des attentes précédant les assauts, à fumer comme un pompier et, pour avoir participé à cette boucherie, il percevait le reste de ses jours une pension mensuelle juste suffisante pour financer sa ration de tabac.

    Ce qui imprégnait plus que tout monsieur Ditz c'est qu'il était toujours en retard sur son époque, condamnant en bloc tous les progrès du XX° siècle. Par sa conduite il se proclamait implicitement le patriarche de la famille, hébergeant et alimentant ses beaux-parents en échange d'un travail éreintant procuré par eux, respecté par ses voisins pour son honnêteté implacable et sa ponctualité, dur à l'ouvrage, autoritaire à l'égard de ses ouvriers agricoles, de sa femme et de ses enfants, mais néanmoins « juste ». Du caractère, il en avait pour réduire sa femme à l'état d'esclave domestique aux ordres : il la traitait comme si elle n'était qu'une bête de somme en plus, bien plus docile s'il en est que le bétail ordinaire.

    Madame Ditz, craintive, se pliait volontairement aux habitudes de son mari, le servait sans rechigner, travaillant « comme un homme » aux champs et en plus à la ferme, cuisinait les repas et se consacrait à l'entretien des animaux et du jardin, son domaine, tout au long de l'année, comme si de toute éternité les femmes étaient façonnées pour se soumettre et les hommes pour commander. Humble et obéissante, la dureté de son conjoint était telle qu'elle sanglotait silencieusement parfois en accomplissant ses tâches ménagères, se souvenant amèrement ce que préconisait son père, alors qu'elle avait dix-neuf ans : « Epouses Jacob Ditz, tu auras du travail et de la nourriture assurés tous les jours ». Néanmoins elle résistait avec vigueur sur certains points : lorsqu'elle eut gratifié son époux de trois enfants, une fille, puis un garçon et encore une fille qui décédait en bas âge, elle trancha : « C'est assez ! » ajoutant : « Une femme qui a trois enfants s'est conformée à son devoir ! » et depuis ce jour-là, elle n'eut plus jamais de relation sexuelle, couchant la nuit dans une chambre séparée de celle de son mari puisque alors les méthodes contraceptives étaient inconnues et surtout non tolérées par l'Eglise. D'autant plus que dévote au-delà de toute limite imaginable, elle assistait à l'office tous les dimanches et appliquait scrupuleusement tous les rites prescrits tels que ne pas manger de viande grasse le vendredi, jeûner durant le carême, remplacer les rameaux de buis béni sur les croix du Christ, suspendues dans toutes les pièces de la maison, une fois l'an et fleurir les tombes familiales à la Toussaint.

    Voici deux extraits de lettres qui éclairent sur le village lorrain de Contz, premier milieu d'existence de Pierre Quader et de Thérèse Ditz. La première lettre est adressée par Clément Ditz – surnommé depuis toujours « le Rouquin » à cause de sa chevelure flamboyante – à son père ; la seconde lettre est une réponse de Jacob Ditz à son fils. Jacob Ditz, atteint d'une tuberculose fatale était hospitalisé à Thionville. Le Rouquin administrait la ferme et avait des idées pour moderniser et mécaniser l'exploitation agricole : il projetait d'innover en acquérant le premier tracteur du village grâce aux économies thésaurisées par son père au cours de sa vie. Quelques mois après cet échange de correspondance, alors que Jacob Ditz était dans le coma et trépassait, le Rouquin, utilisant un pouvoir rédigé à son nom et imitant la signature de son père, empochait la totalité de l'argent déposé sur un compte bancaire et à l'aide de ces fonds obtenait un tracteur. Ainsi se résolvait ce conflit de générations.

     

    Ditz Clément

    56 rue principale

    CONTZ Moselle

    A

    Monsieur Ditz Jacob

    HOPITAL°°°

    THIONVILLE Moselle

     

    Contz le 24 octobre 1955

     

    Mon cher père,

    (°°°)

    Le village tel qu'il était quand vous avez commencé, s'est modifié : l'application des progrès depuis le début du siècle à la campagne a tout bouleversé. Rien n'est plus comme avant. Ainsi, la rue principale, cabossée et éclaboussée par endroits de crottin de cheval et de bouse de vache, recouverte d'une poussière jaune qui se métamorphose en boue par temps de pluie, tourbillonne et s'infiltre partout par temps sec et venteux, le dernier conseil municipal envisage de la goudronner prochainement afin de la rendre carrossable. Les tas de fumier devant les portes cochères des granges ne seront bientôt plus qu'un vieux souvenir et des sacs d'engrais artificiels s'y substituent. Le développement de l'information et des moyens de communication ouvre une fenêtre toute grande sur le monde : les radios, les livres et les journaux sont des objets de la vie courante. Grâce au ramassage scolaire, les enfants des paysans étudient au collège et au lycée de la ville distante de quinze kilomètres. Tous ces changements nous bousculent hors de l'esprit de routine et si nous voulons arriver à quelque chose, être dans le wagon de tête, soyons hardis et ambitieux.

    Le village traditionnel s'est muté en un appendice et une extension de la ville la plus proche, en une petite cité-dortoir. La population a diminué en nombre et sa composition s'est transformée : seuls deux dizaines de paysans ont survécu dans leur état et traversé les mailles du filet des différentes restructurations de la terre. L'activité principale de la plupart des habitants est ailleurs : ce sont d'anciens paysans évincés et transmués en ouvriers dans les usines voisines ou également des employés du bourg voisin logeant à la campagne. Ces ouvriers-paysans sont des jardiniers du dimanche, forcés de travailler à la journée en usine alors qu'il y avait plus de quatre-vingt paysans à temps plein avant la seconde guerre mondiale. Les jeunes sont contraints de solliciter un métier là où il y a du travail et s'établissent en ville comme Pierre.

    Autrefois, les paysans comme vous pratiquaient la polyculture : ils produisaient un peu de tout, des céréales bien sûr, des fruits et des légumes, associés à l'élevage de différents animaux domestiques, deux ou trois vaches, un ou deux chevaux de trait, des cochons, des poules, des canards et des lapins. C'est le déclin de cette forme d'agriculture : on ne s'en sort plus ainsi car c'est dépassé !

    Aujourd'hui, l'agriculture tend à se spécialiser : être compétitif c'est « faire » du blé ou de la viande exclusivement et se départir du reste. L'agriculture scientifique ne laisse plus de place aux amateurs et aux traditionalistes ! Le paysan moderne, chef d'entreprise, gère sa ferme de manière capable et vend sur un créneau rentable ou périt, et ceci d'autant plus que la surface pour persister dans la profession de paysan et prospérer, augmente sans cesse alors que le prix de la terre, par la spéculation, grimpe en flèche. Vous êtes trop arriéré et trop vieux et par votre faute, nous sommes pénalisés par quelques années de retard. Aussi je réitère ma demande : achetons dès maintenant un tracteur avec l'argent que vous avez épargné. J'espère que vous comprenez mes raisons.

    Nous dépenserons les gains ainsi dégagés pour améliorer nos conditions de vie. Les transformations récentes dans l'économie et les mentalités ont aboli la « grande famille » où cohabitaient difficilement sous le même toit, au rez-de-chaussée, les grands-parents et au premier étage, les parents et les enfants. Aujourd'hui, chacun convoite l'autonomie, et très tôt les enfants souhaitent s'émanciper du giron familial pour domicilier dans une maison privée de ses anciens occupants ou se construire une habitation. Les anciennes maisons, restaurées et amendées, ont de nouvelles figures : l'écurie redonne après quelques travaux de maçonnerie, un hangar pour le tracteur et les machines agricoles, l'étable a un sol incliné en béton pour l'écoulement des eaux, excluant l'inconvénient de la litière. Les murs autrefois badigeonnés à la chaux une fois l'an sont tapissés de papier peint ou ornés de carrelages multicolores. Dans la cuisine, les réchauds fonctionnent au gaz. Le confort et la manière de vivre se rapprochent de plus en plus de ce qui existe déjà en ville.

    (°°°)

     

    Ditz Jacob

    Hôpital °°°

    THIONVILLE Moselle

    A

    Monsieur DITZ Clément

    56 rue principale

    CONTZ Moselle

     

    Thionville le 17 novembre 1955

     

    Mon fils,

    (°°°)

    Quant à la deuxième partie de ta lettre, elle m'a énormément chagriné et j'y répondrai plus longuement. Au fond tu as hâte de te débarrasser de moi, de t'arroger ma succession, de voler mon argent et de réussir à tout prix, quitte pour cela à piétiner mon cadavre, celui de ta mère et à dépouiller ta soeur. Tu m'assènes le coup de grâce. Je tâche de clarifier les idées que tu rumines. Il est loin le temps où le père assumait et contrôlait les affaires jusqu'à sa mort quel que soit l'âge de son fils, celui-ci persévérant dans l'obéissance. C'est la guerre qui a détruit et perverti la moralité des gens. En tout cas je m'en irais la conscience tranquille, convaincu que ce n'est pas moi qui t'ai inculqué ces principes.

    Pour te convertir à de meilleurs sentiments, démystifions un peu ce passé galvaudé dont tu te gausses facilement : que seraient toutes les nouveautés, l'utilisation de l'électricité, les moteurs adaptés à de nombreuses machines, les routes bitumées... sans le travail des générations qui précèdent ?

    Un village d'alors constituait à lui seul une unité pour ainsi dire biologique, un univers clos et enclavé. Les informations ne circulaient pas beaucoup. Pas de radio. Les journaux étaient rares, les livres encore plus ; on n'avait d'ailleurs pas beaucoup de temps à consacrer à la lecture. Je disposais en tout et pour tout de deux livres en langue allemande, l'un vulgarisant les découvertes en astronomie, illustré de quelques planches de la configuration du ciel et l'autre propageant et commentant la doctrine des « témoins de Jéhovah ». L'observation de la coupole céleste les nuits claires, en saisons mortes, s'était érigée en lubie : en me promenant, je décrivais et nommais les planètes et étoiles visibles à l'oeil nu, t'associant parfois ainsi que ta soeur à cette passion. Le second livre, une interprétation de la bible, prophétisait la fin de la terre et l'émergence de la « nouvelle Jérusalem » véritable paradis terrestre, monde de justice et de paix, à l'issue d'une ultime apocalypse. Ce conte m'enchantait : il y avait une image idyllique, un loup et un agneau réconciliés, paisibles et doux, côte à côte sans s'entre-dévorer, sous le regard émerveillé d'un homme auréolé d'une lumière étincelante. Décerné par un émule des témoins de Jéhovah, en mission au village dans les années 1930 en vue de rallier des « âmes », ce fut mon livre de chevet : lors de la seconde guerre mondiale, je pressentis même fermement que la prédiction qui y était contenue s'actualisait : « Quand les barbares et païens russes fouleront des sabots de leurs chevaux les rues de la nouvelle Babylone, Rome, des pluies de feu et de sang se précipiteront du ciel et ce sera la fin du monde et la naissance d'une ère nouvelle ». Je crus déchiffrer tout cela pêle-mêle dans l'avancée du rouleau compresseur soviétique contre Hitler et dans l'explosion des bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki : mon attente, déçue par l'issue de la guerre, je reléguais le livre au fond d'un tiroir à la critique rongeuse des souris. Ce livre effrayait ta mère chaque fois que je l'avais entre les mains et elle se promettait bien de le consumer par le feu à la première occasion si elle s'emparait de lui car elle prévoyait que sa lecture entraînait ma damnation perpétuelle, surtout que lors du passage du représentant des témoins de Jéhovah à Contz, le curé de la paroisse, au prêche du dimanche matin, haranguait ses ouailles, dénigrant de manière virulente toutes les factions qui conspirent contre la doctrine officielle de la mère Eglise et leur enjoignant de maintenir porte close devant cette engeance du diable qu'étaient les membres pécheurs de cette secte de Jéhovah, eux-mêmes étant voués aux flammes de l'enfer s'ils s'accointaient avec eux. Le seul livre que consultait ta mère était un missel à la couverture noire et aux pages jaunies qui lui avait été remis pour sa communion solennelle et qui renfermait l'essentiel de ce qui détermine la vie vertueuse d'une bonne chrétienne.

    Le village – monde autarcique d'autant plus que chaque famille engendrait ce dont elle avait besoin – rejetait tous les corps étrangers ; le conformisme y régnait, chacun se calquait sur tout le monde et tout le monde était immuablement catalogué depuis plusieurs générations. Mais fermé sur lui-même ne signifie pas imperméable à toutes les influences et quelques pores absorbaient l'air extérieur, enrayant l'asphyxie : le marché du bourg de Sierck-les-bains, une fois par mois, où l'on commerçait le bétail, la visite au notaire pour traiter les affaires importantes, tels les héritages, et surtout le départ des nouvelles classes au service militaire après un rituel qui mettait en émoi notre petite communauté, et la fête de la saint Hubert, patron du village, le premier dimanche de novembre, où l'on étrennait le vin nouveau et renouait avec les pays et les payses « émigrés » mariés avec un « étranger » ou une « étrangère ». Le facteur, le gendarme et le garde forestier remplissaient également cette fonction de tampon et de véhicule de l'information entre le monde extérieur et nous.

    Inversement, il y avait quelques entrées au village : une ou deux fois l'an des tziganes égayaient les enfants avec une roulotte trimbalée par deux chevaux, contenant une ménagerie d'animaux exotiques ou un manège, gitans auxquels on assignait un « don de Dieu » si on ne voulait pas se voir chaparder la nuit toute une rangée de laitues dans le jardin, ou quelques poules de la basse-cour. Ces gens du voyage étonnaient ta soeur et toi-même par leurs accoutrements bizarres et le goitre qui paraît le cou de la plupart de leurs vieilles femmes. Un juif errant, auquel on ne déférait pas d'âge défini, marchand ambulant de chevaux et de vaches, troquant des oeufs et des peaux de lapin aux paysans pour les revendre en ville, sillonnait à travers les villages de la région et colportait par là même bonnes et mauvaises nouvelles alentour.

    Une tradition solidement chevillée dans les esprits recommandait que l'on se marie avec un membre du village ou des environs immédiats, mais quelquefois un familier transplantait ses pénates ailleurs : lorsque cette personne dénotait – ou feignait – une situation confortable et brillante, de retour au village natal, elle pavoisait la tête haute. Mais si par malheur elle était dotée d'un niveau de vie jugé insignifiant pour excuser sa désertion, sujet à l'opprobre et à la réprobation unanime, victime des cancans elle ne réapparaissait bientôt plus, supprimant même de ses nouvelles. Ma soeur ayant fiancé un bon parti, un fonctionnaire des chemins de fer de Metz, s'exhibait au village, juste avant la seconde guerre mondiale, dans une calèche traînée par deux chevaux blancs, richement harnachés, elle-même la tête surmontée d'un chapeau orné de plumes de paon, ce qui avait grandement impressionné.

    Malgré les fenêtres d'aération et les rares contacts avec l'extérieur, malgré les discours et les leçons de morales des deux notables, le curé et l'instituteur, pour rabattre le caquet et solliciter quelque modestie de la part de leurs concitoyens, les villageois se comportaient comme s'ils étaient seuls au monde, se décrétant le nombril de l'univers et centrant la vie du village sur lui-même. L'église, lieu de rencontre usuel, le dimanche, accueillait sur une rangée les femmes et sur l'autre rangée les hommes du village : il était de règle d'apparaître conforme à l'égard de l'« opinion publique » – catholique bon teint, bon mari et bon père – et ne pas s'attirer les foudres du représentant de Dieu devant l'ensemble de ses voisins assemblés à la messe. Seules quelques fortes têtes autant redoutées qu'objets de curiosité affrontent ces préjugés. Le débit de boisson, autre point de ralliement, avait la faveur de ceux renommés feignants, rarement de ceux que l'on estimait sérieux et travailleur.

    Une sorte d'héritage spirituel transmis de père en fils définissait le fondement commun de toutes les consciences : c'était un état d'âme, trace des récits des anciens, chape.enveloppant le cerveau, mélange de frayeur, effet des grandes épidémies de peste, la dernière remontant à peine aux années 1830, de la famine et de la crainte du retour de ce fléau, des années difficiles et des guerres, la fierté d'appartenir à la caste des travailleurs de la terre et le mythe profondément enseveli et enraciné des seigneurs féodaux d'antan, en particulier du marquis de Sellancy, ancien maître du pays de Contz qui outre un château, s'arrogeait autrefois, affirmait-on de bouche à oreille, toutes les bonnes terres, les paysans n'étant que des esclaves taillables et corvéables à merci. Cet âge mythique, fabuleux et terrible à la fois, est prêt à resurgir dans les mémoires : il fascine encore aujourd'hui Thérèse qui s'enquérait toujours avec minutie du devenir des us et coutumes des ducs et duchesses, bref de tout le reliquat de noblesse à la tête des cours européennes. De cet esprit collectif surgissait aussi une mauvaise conscience, celle de la fortune amassée grâce au vol parfois d'un frère ou d'une soeur, grâce à l'arrangement en sous main avec un notaire et à la captation d'un héritage, ou au mariage arrangé entre les enfants de deux familles afin d'additionner deux fortunes car si la richesse fructifiait par un travail de longue haleine, elle était souvent frauduleusement acquise au départ.

    Les tragédies comme les guerres que l'on menait ailleurs et les crises qui chassaient et ruinaient les paysans endettés ou possédant insuffisamment de terre, réduits à vendre leurs bras aux maîtres des forges, ont provoqué des plaies béantes. Surtout nos ancêtres ont beaucoup souffert du fait que la Lorraine a valsé à droite et à gauche : disputé entre la France et l'Allemagne, indépendante et dirigée par des ducs pendant une longue période, annexée à la France, puis à l'Allemagne, enfin fusionnée à la France jusqu'à aujourd'hui. C'est là l'inconvénient des pays et des hommes en bordure de deux frontières : l'histoire semble folle. La langue que l'on m'a inculquée à l'école était forcément le « hochdeutsch » ; voire : inculquée dans quelles conditions ! Une classe unique pour les garçons et une autre pour les filles, tout âge mélangé, et les enfants du village déployaient plus de temps à moissonner, vendanger et paître les vaches qu'à s'instruire. Après la première guerre mondiale, la langue qui t'a été enseignée est évidemment le français. Quel méli-mélo ! Quels malentendus entre ta génération et la mienne ! Heureusement, dans la vie quotidienne nous utilisions pour nous entendre la langue francique !

    Quelles difficultés pour coïncider avec les méandres de l'histoire ! La mère de Pierre prénommait l'un de ses fils « Wilhelm », Guillaume, comme l'empereur d'Allemagne régnant ; elle fut récompensée pour son dixième enfant par la médaille de la mère méritante et avait accroché au mur de sa chambre le portrait de Guillaume II en costume de cérémonie. Ce même fils fut congratulé par la France d'une médaille militaire parce qu'il était prisonnier dans un camp allemand du début à la fin de la seconde guerre mondiale ; mais le tableau de l'empereur n'était toujours pas décroché pour se mettre au goût du jour. Quelle dérision ! Pierre a effectué son service militaire dans l'armée française et toi tu as bataillé dans la Wehrmacht comme « Malgré-nous » et mon beau-frère a été fusillé comme otage par les Allemands : nous avons un pied de chaque côté de la frontière et des martyrs sont morts des deux côtés, indifféremment pour la patrie allemande ou française, chaque nouveau conflit emplissant le cimetière.

    En Lorraine, terre de passage et carrefour, les occupations du village et de chacun de ses habitants importaient plus que les affaires relatives à la France ou à l'Allemagne. Aucun chauvinisme : les anciens du village conservent même un meilleur souvenir de la présence allemande que de la période française qui lui succédait après la première guerre mondiale car alors, temps consacré pour le vin de Moselle et le blé de Contz, les escarcelles et les greniers étaient bien pleins : arguant de son peu de colonies, l'Allemagne favorisait la production vinicole le long de la Moselle alors que la France, après la guerre, arrachait les vignobles, jetant les vignerons sur le pavé les uns après les autres, appauvrissant la contrée du fait de la concurrence des importations de vin des colonies du Maghreb, la vigne y étant implantée de force. De toute façon la politique politicienne n'était pas très prisée, et dans le journal, en langue allemande, en général on feuilletait exclusivement les nouvelles locales – naissances, mariages et décès, Mairie, église et cimetière ponctuaient la vie du village et le travail monotone et routinier – on sautait invariablement les pages des informations générales, n'examinant que les gros titres et on y découpait des semelles pour calfeutrer les sabots de bois.

    Les individualités ayant manifesté quelque originalité, que l'on étiquetait d'un surnom, défrayaient la chronique de Contz, comme tel petit paysan, maire communiste dans les années 1930 et « le plus jeune maire de Moselle », ou aussi l'« idiot du village » un individu qui, alléguait-on, avait des jambes fines comme des baguettes de pain ; réformé du service militaire, ce qui était une tare en soi, et appelait sur lui les regards et les quolibets. Les babillardes cornaient à son propos qu'il remédiait à son défaut en portant en toutes saisons trois pantalons superposés et, mauvaises langues, soufflaient qu'il n'aurait jamais femme. Mais récusant le sort de mauvais aloi qu'on lui réservait, il s'émoustilla. Approvisionnant alors à nouveau les bavardages, on insinuait qu'il serait bien en peine d'avoir des descendants : il eut cinq vigoureux gaillards, pour démentir toutes ces vilaines commères !

    Outre l'isolement, ce qui caractérise le village d'alors, c'est que rien n'était facile : chacun, jeune ou vieux par un interminable labeur, extrayait sa pitance à la main du sol ingrat. Le résultat n'était jamais garanti d'avance et on oeuvrait dans n'importe quelles conditions climatiques : soleil torride en été, où l'on nageait dans la sueur – Mon beau-père répliquait, alors que je désirais sécher sa chemise trempée : «Le bon dieu qui l'a mouillée me la séchera aussi ! » –, froid glacial en hiver, gerçant les mains affairées à scier du bois ou à lier les fagots. Les plaisirs étaient rares et résidaient à s'allonger et paresser pour se requinquer après une journée particulièrement fatigante.

    L'unique jouet que j'eus au cours de toute mon enfance fut une forme en tôle pour mouler les gâteaux de sable, troquée avec un brocanteur en échange d'une dizaine de kilogrammes de vieux papiers, et encore je partageais ce jouet avec mon frère ! Le cadeau de Noël ravissant Thérèse et toi-même était une simple orange. Dans ces périodes passées il n'y a vraiment rien de nostalgique

    Si je discours sur cette révision de vie et te conte tout cela c'est pour te prouver par a plus b que je n'ai rien à me reprocher et que je ne regrette rien. Je lègue à mes enfants l'héritage de mes ancêtres sans y avoir ajouté quelque chose, mais aussi sans rien y retrancher, ayant travaillé comme un aveugle tel le boeuf tirant son soc, aussi démuni au départ qu'à l'arrivée, et j'y joins ce conseil précieux : mieux vaut vivre pauvre et honnête que voleur et riche !

    (°°°)

     

    Le miracle de l'évocation a-t-il concrétisé des personnages de chair et de sang ? A peine est-ce des ombres fatiguées sur la toile grise du passé et ceci est occasionné moins par l'impossibilité de dépeindre une vue objective qu'à l'absence d'ampleur des héros. Ainsi, au premier abord, monsieur Quader serait ce type d'homme qui vise aux plaisirs et aux gueuletons, qui s'adonne à l'alcool et passe beaucoup de bon temps au lit, et madame Quader, une bonne âme, aimante et douce, qui ne songe qu'au bien-être de ses enfants, dévouée même à son mari « qui ne le mérite point ». Sans aucun doute, madame Quader agrafait à l'aide d'une épingle la chemise de nuit de son mari à la sienne pour invalider toute intention de celui-ci d'échapper du lit conjugal en catimini pour se rendre à la cave et puiser aux tonneaux, à l'aide d'un chiffon s'imbibant du jus de la vigne, à la lumière de la lune, des étoiles et d'une bougie coupable.

    Cette première vision s'évapore rapidement si on n'élude pas que madame Quader se débinait souvent à la salle de cinéma de la ville voisine, se prélassant dans un fauteuil rembourré devant le petit écran et on commérait aussi au village que si son mari procréait un enfant environ tous les deux ans pendant vingt ans, c'était pour combattre la nature folâtre de sa femme, un vrai courant d'air dont la tocade était de permuter de temps à autre son partenaire, l'âge n'ayant que peu d'importance: « J'ai un sexe comme toutes les femmes et j'en ai encore un autre à la hauteur du genou pour les petits garçons! » précisait-elle. A la suite d'une de ses virées, son mari la ramenait chez elle, avachie et roupillant, complètement saoûle, dans une brouette.

    Ce qui énerve et épouvante quand on survole le peu que l'on suppute quant à la vie de ces héros, c'est l'impossibilité flagrante d'inscrire ces existences dans l'histoire, la grande Histoire, celle que l'on calligraphie avec un H majuscule: ils appartiennent à la masse des travailleurs miséreux et sans noms, ceux à qui l'on n'a jamais rien donné et qui ne cèdent rien en héritage sinon l'art de recevoir des coups de pied au derrière en bredouillant merci.

    Si, exaspéré, pour redorer le blason de Pierre Quader et désigner quelqu'un d'un peu plus d'envergure, vous l'incrustez de force dans cette histoire des hommes, vos efforts seront puérils et vains: à peine parviendrez-vous à le camper en train de défiler, paradant avec une pancarte revendicative, lors des grands mouvements de grèves de 1936, sorte de coup d'éclair dans sa vie. Mais qui, alors, ne coopérait pas à ces mouvements sociaux ? Toute la société, classe ouvrière en tête, pénétrait sur la scène et délibérait – rares moments exaltants – de la vie collective et, une fois l'incendie éteint, Pierre Quader disparaît également de l'avant-scène.

    Lors de la seconde guerre mondiale, Pierre Quader s'était dissimulé, puis réfugié, jusqu'à la fin du conflit, dans la ferme de son beau-père pour se soustraire au Service du Travail Obligatoire et ne pas être enrégimenté dans l'armée allemande pour guerroyer sur le front russe à l'image de nombreux « Malgré-nous » d'Alsace-Lorraine : embellir cela et s'ingénier à voir là un haut fait d'arme de résistance au nazisme, c'est exagéré, car au regard de la nature humaine de Pierre Quader, c'était plutôt le refus de se faire tuer pour une cause incompréhensible et surseoir à tout prix à n'importe quelle guerre, bref rester passif et inerte, planqué sans plus.

    Plus tard Pierre Quader n'adhérait jamais à un quelconque parti politique : logiquement, il aurait dû opter spontanément pour le parti communiste français, alors parti de la Résistance, de la classe ouvrière et des opprimés. Mais rien de cela ! Il n'est même pas possible de le figurer au moins au rang des anarchistes impénitents ou des individualistes et, s'il en était, c'était non pas par un choix libre, mais parce que cela reflétait son tempérament et son origine sociale.

    L'histoire officielle se déroulait au-dessus de lui : à l'écart des événements, il s'y ajustait après coup, au mieux, éternel victime du cours historique, déplorant hiératiquement qu'il en ait toujours été ainsi et que personne n'y modifierait jamais rien, en haut une poignée d'usurpateurs assujettissant en bas une masse d'esclaves qui n'ont qu'à obtempérer. Rien du sang fougueux des Communards, mais une inertie atavique : on a beau fouiller pour trouver enfoui au moins un épisode glorieux, une initiative responsable – une grève qu'il contribuerait à déclencher, ou du moins à laquelle il collaborerait activement – on ne démêle rien qui masque et rachète le néant de cette existence.

    Il n'avait même aucune ambition de réussite sociale et professionnelle à force du poignet ou, s'il en avait à l'origine, celle-ci s'anémiait et s'annihilait bien vite, sans laisser aucune trace sur le tard. Déjà fort jeune, très instable, il changeait plus d'une fois de patron, chutant de déchéance en déchéance, de Thionville à Metz, de Metz à Strasbourg, d'une boulangerie à l'autre, puis viré de la dernière place de boulanger pour faute professionnelle, résiliant un métier après l'autre, jamais satisfait longtemps au même poste de travail. Quand il confectionnait des pâtisseries, il travaillait avec hâte, sans goût, et le résultat était sans grâce et médiocrement bon. De son métier initial il n'héritait que d'un surnom emprunté par toutes ses connaissances pour le dénommer avec une note quelque peu ironique, même plus tard quand il renoncera à cette profession, on l'appellera encore « le boulanger ». Néanmoins quand le jeu en valait la chandelle, Pierre Quader, consciencieux, livrait une grande quantité d'efforts décuplés. Mais la plupart du temps il raisonnait ainsi: « A quoi bon me surmener pour abattre beaucoup d'ouvrages, je serais toujours un pauvre type, et si j'encaisse plus que de coutume, le gouvernement en place sera là pour me surimposer et m'escroquer les fruits de mes efforts ». Aussi s'escrimait-il pour ne pas mourir de faim, abruti toute la journée par le poids de sa triste condition, car pour les patrons et les gens bien pensants, il était un matricule, sans plus, quelqu'un d'interchangeable, un tâcheron qui enchérit quand, à certains moments, on a recours à lui, et que l'on rejette comme une coque vide à d'autres moments. Il intériorisait cette façon d'analyser son sort et se comportait effectivement comme un robot. Qui avait intérêt à mieux sonder son âme ? Personne. Il était le seul, horriblement seul. Il n'avait plus d'âme. Etait-il conscient de cette absence de vie et se révoltait-il contre la situation qu'on lui imposait ? Nullement. Il était malheureux, tristement malheureux. Qui lui restituerait son âme ?

    Inutile d'imaginer Pierre Quader heureux et corrigeant ces déboires du point de vue de sa vie affective et familiale ! Sans doute, il chérissait sa mère d'une tendresse débordante et, saoul, geignait que c'était « la seule femme qu'il aimât jamais ! » : pour cet être faible, cette bouée de sauvetage était l'ultime recours contre les écorchures de la vie. Mais en fait il avait mené la vie dure à sa mère : adolescent de vingt ans, alors en chômage au village, sa mère le chargea de ramasser des pommes de terre. Il s'orienta en direction du champ et, hors de vue, le contourna et, par un détour, aboutit tout droit au débit de boisson du bourg voisin, où il s'exerça jusque tard dans la nuit au jeu de quilles : les pommes de terre pourrirent sur pied ! A la mort de sa mère, Pierre Quader diffusa cette tendresse excessive sur ses nombreux frères : il les affectionnait fortement, vraiment, se croyant rétribué en retour : « La famille, c'est sacré ! » confiait-il. Cependant pour ses frères, il était en fin de compte un objet de raillerie et de mépris, un familier que l'on cache parce qu'il fait honte. Ils ne piaffaient pas après lui et il ne les intéressait que médiocrement : durant l'enfance il était déjà pour eux un souffre-douleur. Quant à ses copains de rencontre, gens à son image, ils s'accointaient et s'encanaillaient avec autrui tant qu'ils espéraient en tirer quelque profit. A défaut d'affection et d'amour véritables, Pierre Quader eut à peine son comptant de plaisirs simples : quand il récapitulait et brandissait comme autant de victoires les innombrables plaisirs qu'il avalisait et prétendait avoir accumulé, il parvenait à peine à blouser son auditeur, et d'ailleurs il ne s'agissait que de parties de cartes, de loterie et de tiercé, de discussions de piliers de bar et de beuveries, les vapeurs d'alcool, véritable drogue, en constituant le pivot.

    Sous l'empire de Bacchus, il était très fier et scandait, en martelant les mots de violents coups de poing sur la poitrine :

    « Les Quader sont des durs ! », justifiant à ses yeux son existence par ce leitmotiv : « J'ai choyé quatre enfants. Je ne suis pas un fainéant. Maintenant qu'ils ont dénoué le noeud et sont grands, je pallie encore tous les jours à leur nourriture par mon travail ! ». C'est travestir la vérité, car il n'a pas entamé grande chose pour que les événements se combinent différemment ou mieux qu'ils ne se sont passés et Pierre Quader ne se cramponnait à ses enfants qu'aux moments de grand cafard.

    Quel hasard de circonstances conduit au mariage entre Pierre Quader et Thérèse Ditz qui, à défaut de la grande passion, vivront ensemble pendant près de trente ans ? Pour Pierre il était question de se fixer puisque âgé de trente trois ans, âge où l'on se départit de sa vie de garçon ou bien on s'encroûte et prolonge définitivement une vie de vieux célibataire endurci. Ce qui poussait Pierre Quader dans les bras de sa future femme c'est incontestablement parce qu'on affichait celle-ci comme une « bonne affaire », et il attendait de son futur beau-père une dot rondelette pour s'installer à son compte dans un magasin de boulangerie-pâtisserie, et s'il était incapable par lui-même de machiner ce calcul parions qu'on peut l'imputer à madame Quader. Pour Thérèse Ditz, la nécessité de s'amouracher avec quelqu'un du village limitait forcément le choix : d'ailleurs que savait-elle de ce qui se tramait hors du village ? De son propre aveu ce qui la séduisait est que Pierre Quader, un peu dégrossi, avec des manières, était différent des paysans qu'elle côtoyait tous les jours : certains jours, il s'accoutrait d'un costume de satin vert comme il n'y en avait pas deux au monde. L'objectif pour Thérèse Ditz était de se délivrer du milieu familial, triste et monotone, à la rencontre d'un monde nouveau, même inconnu, de copier certaines de ses amies qui avaient déjà la bague au doigt et de ne pas rester en rade pour coiffer la sainte Catherine. Sans être étranger au terroir, natif du même village, grâce à Pierre Quader, Thérèse Ditz escomptait une vie différente de ce qu'elle avait expérimenté jusqu'alors : le travail sans fin. A défaut d'aventures extraordinaires elle se prémunirait et se protégerait tout au moins de l'emprise de son père tyrannique dont elle soupçonnait à son égard le complot suivant : « Ma fille me servira jusqu'à ce qu'elle ait trente ans, puis je la marierai à un riche propriétaire foncier du voisinage ! » Les désirs de Thérèse Ditz s'opposant frontalement à ceux de son père et le père n'ayant jamais accepté le mariage de sa fille, ce fut l'origine du conflit brouillant père et fille.

    Peut-être est-ce là de purs procès d'intention de la part d'un misanthrope aigri et trop assagi ou le recul du temps qui offre cet angle de vue de l'amour entre Pierre et Thérèse ? Qui sait, à l'origine, la chair tendre d'une passion inconditionnelle et infinie recouvrait le squelette de tous ces calculs mesquins. Si une raison pécuniaire accolait Pierre Quader et Thérèse Ditz, au début, elle n'était qu'inconsciente, et s'avérait dans sa crudité sordide que par la suite, après qu'un certain temps se sera écoulé, alors que l'amour romantique d'origine s'élimait et s'érodait sur les aspérités de la vie. Au moins cet amour désintéressé saillissait-il du côté de Thérèse Ditz, personne encore ingénue, incapable de manœuvrer égoïstement, car sans doute il fallait du courage et une forte volonté, qualités que l'amour corrobore, pour se libérer de l'emprise autoritaire de son père et s'affranchir de ce lien envahissant ? A moins que ce ne soit que la révolte créée et menée par l'instinct de vie. Pour vous convertir à ces soupçons, sachez ceci : Thérèse Ditz attestait n'avoir jamais réellement joui dans les bras de Pierre Quader, affectait ne pas savoir ni quand ni comment elle avait pu en avoir quatre enfants et refusait tout contact physique avec son mari les dernières années de sa vie car alors il la dégouttait trop. Toujours est-il que lors de leur mariage, Thérèse Ditz était enceinte de trois mois et son père, dans l'embarras, consentait à une union qu'il jugeait contre-nature, mais craignant un scandale plus grand encore : être taxé de père indigne d'une fille mère. Quelle tristesse que ce premier et unique amour sans amour !

    Madame Quader désespérait : finirait-elle par caser ce dadais de fils déjà fort âgé. ? Elle lui dressait épisodiquement, subrepticement, un tableau des filles du village bonnes à marier – liste en peau de chagrin et il n'y aurait plus personne s'il tardait trop et mettait l'accent en particulier sur « la fille de chez les Ditz » Thérèse, parti convenable. « Rends-toi compte un peu de ton âge, observait-elle, tu as trente ans et en ce moment la plupart de tes amis ont déjà des enfants. Il est temps de te ranger et d'avoir une situation sérieuse. »

    Au début, Pierre Quader n'y déférait pas trop d'attention, opinait du bonnet mais alléguait par-devers soi qu'il avait bien le temps de voir venir. Mais à force de le turlupiner, l'envie causée par ses frères et ses amis plus jeunes mais ayant néanmoins déjà convolé en justes noces, petit à petit, son centre d'intérêt se cristallisait : il lui fallait trouver une femme ! Lorsque Thérèse Ditz se présentait au comptoir du magasin de ses parents, faisant des emplettes, Pierre Quader la regardait d'un autre oeil : il l'avait d'abord évalué un peu sotte, non dégourdie, et sans charme aucun, même un peu empotée avec ses cheveux châtains clairs frisés pendant en touffes rebelles au peigne sur les épaules et mal fagotée. « Quel laideron empesé indigne de moi ! Elle n'a rien pour elle ! » La brocardait-il, faisant le difficile. Passant en revue toutes les femmes encore disponibles et avantageuses, constatant que plus d'un avait l'oeil vrillé sur Thérèse et qu'elle l'aiderait à asseoir une situation, il se ravisa : « Tant pis, c'est une fille bien utile et gentille ! » Il acquiesça et jeta son dévolu sur Thérèse Ditz : « Elle sera ma femme. Pierre Quader découvrit que même dans la noblesse qui suintait des attitudes de Thérèse, il y avait quelque chose de piquant et d'excitant : il la dominerait que mieux et la styliserait tel qu'il désirait. A compter de ce moment là, l'affaire était comme réglée : Thérèse Ditz lui était destinée depuis toujours, qu'elle le sache ou non, et dans sa tête, il se comportait déjà en maître du logis.

    Mais Pierre Quader étant timide, comment régulariser et avaliser la situation ainsi créée, avec l'accord de l'intéressée, Thérèse ? Il ne doutait pas de son charme personnel, mais n'osait pas l'approcher. Présent partout où il pouvait la rencontrer, empruntant volontairement plusieurs fois par jour le chemin longeant la ferme des Ditz pour tenter de la voir ne serait-ce que quelques secondes, patrouillant dans les parages des champs appartenant à monsieur Ditz, la croisant sur la route chaque fois qu'elle quittait ou réintégrait son domicile, embusqué et l'épiant, il éprouvait une violente jalousie quand un autre homme, jeune ou vieux, discutait avec elle et s'enquérait, mine de rien, sur qui était cet individu, quel rapport il entretenait avec « sa » promise, exigeant absolument tout connaître de la vie publique et privée de « sa » femme et s'endormait le soir en pensant obsessionnellement à ELLE ! Mais face à elle, chaque foi, il était hors de question de l'aborder : sa langue desséchée s'immobilisait et ses jambes flageolaient, ne le soutenant plus. Quand elle était devant lui, il détournait le regard et, la tête haute, simulait le bel indifférent, comme si cette rencontre était fortuite.

    Ce manège dura deux années pleines, et cela piétinerait ainsi longtemps, des mois, des années, voire toujours, d'autant plus qu'il avait beau se décarcasser, personne, en particulier Thérèse, n'y prenait garde. Il résolut fermement qu'à la prochaine rencontre, il lui spécifierait quelque chose de gentil, par exemple à propos de ses yeux bleu clair ou de ses cheveux. Chaque fois, au dernier moment, il était paralysé et muet et ne s'exécutait pas : il reportait alors à la prochaine fois et revivait en rêve cette scène de déclaration pour l’énième fois. Pour s'encourager et revivifier son énergie, il s'esclaffait : « Après tout, ce n'est qu'une petite fille, et j'ai plus de dix qu'elle. Qu'a-t-elle de si différent des autres ? C'est une paysanne de rien du tout. Moi j'ai voyagé, vu du pays et j'ai un métier. Je suis mieux costumé et j'ai plus d'attrait que tous les jeunes paysans qu'elle coudoie : eux travaillent continuellement vingt quatre heures sur vingt quatre, moi j'ai des loisirs et sa vie sera plus agréable avec moi, à la ville. Je damnerai le pion à tous ces vachers ! Ces deux ans de manoeuvre aiguisèrent le désir de s'adjuger Thérèse et Pierre Quader claironnait à qui voulait l'entendre, par bravade, qu'il vivait un grand amour. Un jour, un de ses jeunes frères, ancien camarade d'école de Thérèse, fit les présentations : quel gouffre entre le rêve et la réalité ! Pierre Quader sortit écoeuré par cet entretien et encore plus troublé : rien ne s'était agencé comme dans ses rêves les plus fous et, de part et d'autre, seules des banalités furent échangées. Il eut alternativement des périodes d'enthousiasme – « Ma compagnie lui plaît sûrement ! ». «  Elle admire mes belles mains ! » – et de scepticisme «La différence d'âge entre elle et moi nous ridiculise » « Quelle allure aura-t-elle si je l'emmène en ville ? En tout cas la glace était brisée et la conquête bien avancée, ce premier pas franchi, et Pierre Quader rassemblait ce qu'il lui restait de force pour manigancer de façon à accoutumer Thérèse à le voir déambuler dans son décor, et tisser autour d'elle des liens de façon à apparaître indispensable. Lors des rencontres passagères, tous deux babillaient quelques mots et vadrouillaient côte à côte, sans se regarder. Pierre Quader était fier à ces moments-là et délirait le reste de la journée et les jours suivants : « Je te tiens ! » marmonnait-il. Quant à Thérèse, elle badinait sur sa vie comme si elle lui était étrangère, ne se démettant jamais d'un désir personnel ou d'un mot plus haut que l'autre, la première surprise et éblouie, se délectant du fait que quelqu'un l'écoute et s'intéresse à elle, la déifie et la cajole en apparence, et bientôt, elle s'y habitua.

    Un soir d'octobre, le soleil couchant parvenant difficilement à traverser ce qu'il restait de feuillage aux arbres, se baladant dans un bois des environs, Pierre Quader, en plein milieu d'une conversation quelconque, se tourna brusquement en direction de Thérèse, s'empara d'elle par la taille, et lui balbutia : « Ech hun de gär [1]! ». «Ech hun de gär ! » reprit Pierre Quader, encore une fois, s'adressant à une Thérèse semi-consciente, éberluée par cette charge inattendue. Puis Pierre Quader la raccompagnait jusqu'à quelques pas de chez elle, dans un silence tendu, et heureux de sa prouesse. Quant à Thérèse, ce « Je t'aime » résonnait dans sa tête comme un tambour que l'on bat. Le lendemain, ils se revirent et, repassant instinctivement par le même endroit, arrivés là, il la saisit par le bras, l'effleurant du doigt, puis par la taille, retroussait sa blouse, dévoilant son dos, déboutonnait sa jupe. La position lui parut absurde, lui-même faisant figure de lourdaud. Quoiqu'il en soit, il tenta de la coucher sur le sol et accrut la pression de son étreinte. Thérèse mimait et contrefaisait la résistance moins par conviction que par un réflexe en rapport avec ce qu'on racontait sur les rapports avec un homme et ce qu'elle retenait de ses vagues lectures d'adolescentes, puis l'enlaça à son tour de ses bras, l'étreignant fortement, attendant la suite des événements. De façon tout aussi inattendue, Pierre Quader relâchait son étreinte : il n'avait plus envie de caresser. A vrai dire, il ignorait comment débuter, comment poursuivre et comment se dépêtrer d'une situation qu'il n'avait pas voulue et déclara, d'un ton rapide, penaud et confus, qu'il n'avait jamais eu de contact avec une autre femme, qu'il l'aimait beaucoup, mais que pour lui, l'amour était quelque chose de plus précieux que l'acte en lui-même. Tous deux remirent de l'ordre hâtivement dans leurs vêtements et, marchaient côte à côte, sans se voir, sans se parler Pierre Quader d'un pas rapide comme s'il fuyait, Thérèse essayant de le suivre en courant presque, en direction de la ferme de monsieur Ditz. Cette soirée eut pour conséquence de raviver les sentiments de part et d'autre, laissant chacun insatisfait. Les parents de Thérèse ne la reconnaissaient plus, surtout madame Ditz : elle se comportait en étrangère à la famille, et se languissait, passant plus de temps que de coutume, seule, dans sa chambre, assise à côté de la fenêtre, rêveuse. Madame Ditz, soupçonnant anguille sous roche, subodorait que sa fille avait une relation avec le fils Quader. Thérèse, première élue du coeur d'un homme mûr était fière. Pierre Quader, craignait d'avoir déçu sa bien-aimée, était aussi encouragé à oser plus ; plus que jamais il se complaisait à en discuter comme de confiance et la dépeignait maintenant comme une beauté de premier ordre, peut-être la plus belle fille au monde, spécifiant pour épater ses amis et faire briller les yeux des envieux, que son futur beau-père n'était pas pauvre et que Thérèse n'avait qu'un frère. Il arguait qu'elle se pâmait pour lui et devait admirer le courage avec lequel il avait expurgé sa chasteté. Après une nouvelle promenade dans les sous-bois, une semaine plus tard, Thérèse était enceinte et, première informée, madame Ditz l'annonçait avec doigté à son mari. Apprenant ce fait et que Thérèse désirait épouser un Quader, monsieur Ditz, écumant, la rejoignit dans sa chambre et, la pétrifiant du regard, brailla dans une rage folle :

    « Cela ne va pas ? Je préfère t'enfermer au couvent ! Rends-toi compte avec qui tu veux te marier : un fils Quader ! On aura tout vu ! Ce péteux ne franchira pas le seuil de ma maison. Ce fainéant est un incapable. Ce n'est même pas un agriculteur : il est pauvre comme Job et n'a que les yeux pour pleurer. S'éprendre d'une personne qui n'est pas de son propre milieu : il n'en découle rien de bon ! C'est un raté et il te conduira aussi à la ruine. Quel attrait a-t-il donc ? Il t'a envoûtée ! Tu es maudite ! Reviens à toi et sois un peu responsable de ce que tu entreprends au lieu de te laisser trousser et embobiner par le premier venu. Je te tuerai plutôt de mes mains. C'est la faute de ta mère : elle n'a jamais su élever ses enfants. Ah ! Elle aurait mieux fait de te surveiller. Mais qu'est-ce que j'ai fait au ciel pour avoir une fille pareille ! De quoi suis-je donc puni ? Je n'ai quand même pas commis un crime ! Ne t'ai-je pas ressassé mille fois qu'il ne faut pas se mettre derrière un cheval et devant un homme ? Vous formerez tous les deux un bien pauvre ménage. Non et non ! Et les gens riront de moi. J'ai trimé comme un fou toute ma vie et c'est les Quader qui en profiteront. Regarde le mal que tu causes à tes parents. Je te répudierai. Je te renierai. Je ne veux plus te voir. C'est un fêtard et un soûlaud comme son père et il va me casser la baraque : une pomme ne tombe jamais loin du pommier ! Et toi ? Au début tout te paraît doux et resplendissant et tu ne verras l'amer que lorsqu'il sera trop tard pour te repentir. Tant que le balai est neuf il nettoie facilement et te dissimule les défauts, les vices, la pauvreté et la ruine. Mais après, quand le balai sera usagé, crotté et puant, qu'adviendra-t-il de toi et de tes enfants ? Comment peux-tu coltiner une chiffe pareille toute ta vie ? C'est une tartine où d'autres ont léché la confiture. Ah ! Quand le balai est neuf il enlève bien la poussière..

     



    [1] Langue francique. En français : « Je t’aime ! ».

     

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