• Liberté, égalité, fraternité (Parties 10 et 11)

    Les classes sociales d’un système donné forment un tout : on ne peut les séparer, les isoler. Il en est ainsi de la bourgeoisie et du prolétariat. Marx et Engels dissocient bourgeoisie et prolétariat pour les besoins de l’étude et de l’analyse. Ils s’interrogent : d’où vient la bourgeoisie, comment est-elle née ? Comment s’est-elle développée ? Quel est son avenir ?

    Liberté, égalité, fraternité (Partie 10)

     

     

    1. LA BOURGEOISIE

     

    Les classes sociales d’un système donné forment un tout : on ne peut les séparer, les isoler. Il en est ainsi de la bourgeoisie et du prolétariat. Marx et Engels dissocient bourgeoisie et prolétariat pour les besoins de l’étude et de l’analyse. Ils s’interrogent : d’où vient la bourgeoisie, comment est-elle née ? Comment s’est-elle développée ? Quel est son avenir ?

    Le capitalisme est né du sein du féodalisme ; par exemple, en France, il a surgi des luttes menées par le tiers-état (41) (le peuple), dirigé par la bourgeoisie montante, contre l’aristocratie, la noblesse et le clergé riche. Contrairement à ce que veut faire croire la bourgeoisie, parvenue au pouvoir, devenue la nouvelle classe dominante, le capitalisme n’a pas mis fin à la lutte des classes, à l’inégalité et à l’injustice. Les idéologues de la bourgeoisie répandent ces illusions : ils aimeraient bien faire croire cela au peuple afin de l’empêcher de s’émanciper complètement, afin qu’il se contente de réformes et renonce à poursuivre la lutte de classes jusqu’au bout, jusqu’au communisme. Comme chaque nouvelle société, le capitalisme n’a fait que remplacer les anciennes classes sociales par de nouvelles classes sociales, il a substitué aux anciens rapports de production de nouveaux rapports de production (42). En somme le capitalisme est la résolution de la contradiction inhérente au féodalisme, contradiction qui oppose les propriétaires fonciers, ou seigneurs, aux serfs : la solution, c’est la révolution bourgeoise. Le capitalisme fait apparaître une nouvelle contradiction entre bourgeoisie et prolétariat, dont la solution est la révolution prolétarienne.

    Il y a de nombreux points communs entre les étapes de l’esclavagisme, du féodalisme et du capitalisme. Dans chacun de ces trois cas, il y a démocratie pour une minorité, pour les oppresseurs, et dictature (43) sur la majorité, sur le peuple des travailleurs.

    Ainsi, dans la cité d’Athènes, au IV° siècle avant notre ère, la démocratie, (dite « démocratie esclavagiste ») existait pour une minorité d’individus de la société (pour les citoyens, hommes libres, qui décidaient des lois, votaient et avaient le droit d’être élus) et dictature sur la masse des esclaves, traités comme des objets, comme du bétail, qui n’ont aucun droit, sinon celui de se taire et de travailler. Et encore, au sein des citoyens, les droits étaient exercés différemment, selon qu’il s’agissait d’un propriétaire de terres disposant de 2 000 esclaves, ou d’un petit paysan, propriétaire d’un seul esclave, ou ne disposant que de sa famille ; dans le premier cas, le citoyen disposait de loisirs, pouvait acquérir une certaine culture, philosopher etc., ce qui était absent dans le second cas.

    Il en est de même dans le féodalisme et le capitalisme. Dans la société capitaliste, seule une fraction de privilégiés peut profiter pleinement et user des droits démocratiques, qui sont hors d’atteinte de l’immense majorité du peuple. C’est la « démocratie bourgeoise ».

    Dans l’étape du socialisme, qui est la transition (44) entre le capitalisme et le communisme, et le premier stade du communisme, il coexiste également encore la démocratie et la dictature. Mais la différence essentielle entre cette étape, le socialisme, et les trois périodes précédentes, l’esclavagisme, le féodalisme et le capitalisme, c’est qu’alors la majorité domine la minorité : dans le socialisme, la démocratie existe effectivement pour la majorité du peuple, qui exerce une dictature sur la minorité des anciens exploiteurs et sur tous ceux qui rêvent d’un retour en arrière, vers le temps béni – pour eux – de l’exploitation de l’homme par l’homme.

    La différence entre le communisme primitif et le communisme supérieur, est que le communisme primitif est caractérisé par la rareté, la pénurie ; il n’y a rien à partager et donc il n’y a pas d’inégalité sociale. Bien sûr, il existe néanmoins des inégalités naturelles, dues à l’âge, au sexe, à l’expérience plus ou moins grande, et à la loi du plus fort. Le communisme supérieur est caractérisé par l’abondance, l’absence de propriété individuelle : toutes les causes de lutte et d’exploitation de l’homme par l’homme sont éliminées. Dans le communisme supérieur, les besoins sont satisfaits, il n’existe plus d’inégalité sociale et on lutte contre l’inégalité naturelle.

    « Notre époque, l’époque de la bourgeoisie » (45), c’est ainsi que Marx et Engels caractérisent l’époque nouvelle en Europe : la bourgeoisie est alors, en France, depuis 1789, la classe montante et dominante, malgré quelques tentatives de restauration de l’ancien régime féodal. Il en est de même dans d’autres pays européens, même si, comme en Angleterre, la forme d’accession de la bourgeoisie au pouvoir politique n’est pas la même. Dans ces pays il s’est constitué deux camps ennemis, basés sur deux classes irrémédiablement opposées et antagoniques : la bourgeoisie et le prolétariat.

    En ce qui concerne les classes intermédiaires, elles sont condamnées par l’histoire à disparaître : les membres de ces classes parviendront soit à s’élever et à accéder à la classe supérieure, la bourgeoisie, soit tomberont dans la classe inférieure, le prolétariat. Il en est ainsi, par exemple, des paysans et des artisans. Aujourd’hui, les classes moyennes ont de plus en plus de difficultés à s’intégrer dans la classe bourgeoise. Le capitalisme monopoliste d’Etat s’est substitué au capitalisme libéral et concurrentiel (46). Aussi la tendance à la prolétarisation est presque la seule, l’unique voie, l’unique destin réservé aux classes moyennes.

     

    Comment peut-on imaginer la naissance de la classe bourgeoise ?

    Au moyen âge, la classe dominante comprend les « seigneurs », les propriétaires fonciers et le haut clergé. Du fait du développement des forces productives, des progrès scientifiques et techniques, de l’accumulation des richesses, il intervient une différenciation dans la classe inférieure, les paysans ou serfs.

    Certains serfs s’enrichissent, et ils gagnent les petits bourgs, qui se développent et deviennent des centres commerciaux et culturels. De même, certains artisans s’enrichissent et agrandissent leurs ateliers. Ces éléments forment les premiers noyaux de la bourgeoisie. C’est cela qui constitue l’acte de naissance, puis l’essor de la classe bourgeoise. Bien sûr, l’enrichissement de quelques-uns uns se fait la plupart du temps au prix de l’appauvrissement de beaucoup d’autres paysans ou artisans qui, ruinés, constituent l’embryon de la future classe ouvrière, et des ouvriers agricoles. C’est là la cause interne du fondement du capitalisme. Une des causes externes de l’épanouissement du système capitaliste, c’est le développement du commerce international et des échanges.

    Dans cette première étape, qui est celle de l’accession de la bourgeoisie au pouvoir politique, celle-ci joue un rôle révolutionnaire : elle guide et dirige l’ensemble du peuple vers la destruction de l’ancien régime. En effet, en face de la cible à abattre, le féodalisme, les intérêts de la bourgeoisie fusionnent avec les intérêts de l’immense majorité du peuple. Le mérite des premiers bourgeois est très grand : au lieu de dépenser leurs richesses en plaisirs, ou de les thésauriser, ils l’investissent, et par là, ils sapent la base du féodalisme, et préparent de nouveaux rapports sociaux.

    Il apparaît au fur et à mesure une contradiction aiguë entre les forces productives (nouvelles, développées) et les rapports de production (anciens, étriqués, étroits). Il n’y a plus adéquation – équilibre – entre les deux aspects. Les anciens rapports de production constituent un frein, et il faut les détruire pour leur en substituer de nouveaux : c’est la tâche impartie au peuple, guidé par la bourgeoisie.

    Quelles sont les étapes de ce processus ? Le commerce et l’industrie (la coopération (47), puis la manufacture (48) voient l’apparition de la bourgeoisie industrielle) jouent un rôle de première importance. La division du travail (49) accrue, l’introduction du machinisme et de la vapeur suscitent la naissance de la grande industrie et de la bourgeoisie moderne. Bien sûr, il y a interdépendance, interaction (A agit sur B, et inversement B agit sur A) entre ces éléments : commerce et industrie.

     

     

    Le capitalisme a rendu plus complexe la division du travail, et cela a considérablement augmenté les forces productives. Prenons un exemple : un artisan fabrique des aiguilles en acier. C’est lui qui réalise tous les stades du processus (allonger le fil d’acier, le couper, limer la pointe, percer un trou, etc.). Mettons, arbitrairement, qu’il fabrique 100 aiguilles en moyenne par jour. Le simple fait d’introduire une nouvelle division du travail va considérablement augmenter la production. Par exemple, quatre ouvriers, concentrés dans un atelier, vont se partager le travail : le premier allonge le fil d’acier, le second le coupe, le troisième lime la pointe, etc.). A eux quatre, ils fabriqueront non pas 400 aiguilles, mais 1000 aiguilles par jour, et même plus. De plus, le travail sera mieux fait. Les ouvriers n’ayant qu’un geste assez simple à réaliser, vont gagner en dextérité. Ce sera aussi un gain de temps appréciable.

    Bien sûr, l’introduction de nouveaux procédés techniques, de machines, etc., vont porter la production à des seuils encore plus élevés, mettons 10 000 aiguilles par jour en moyenne. Et ainsi le marché national sera saturé par ce produit : il faudra exporter, gagner de nouveaux marchés, d’où extension du colonialisme (50), et lutte entre nations bourgeoises pour posséder des colonies, ce qui développe les différents moyens de communication.

    Le pouvoir de la bourgeoisie dans la société s’accroît en même temps que ses forces matérielles, que sa puissance économique. Elle prend de plus en plus de place dans la société, aux dépens des anciennes classes féodales.

    L’œuvre Don Quichotte de Cervantès (51) illustre bien la décadence à tous les points de vue de la noblesse : mise en cause de toutes les valeurs du féodalisme, comme l’esprit chevaleresque, ce qui est la conséquence de la destruction de l’ancien monde. De même la pièce de théâtre Le Bourgeois gentilhomme de Molière (52) illustre bien l’accession d’une nouvelle classe, la bourgeoisie qui, encore incapable de supplanter l’ancienne classe féodale, aspire à l’imiter, et calque ses propres manières sur celles des maîtres de la société.

    Pour illustrer l’épanouissement de la classe bourgeoise, Marx et Engels citent deux modèles concrets différents : l’exemple type du développement de la bourgeoisie du point de vue économique, c’est l’Angleterre, et l’exemple type du développement de la bourgeoisie du point de vue politique, c’est la France. Bien qu’il y ait différents développements, politique et économie sont profondément liées. Il y a parallélisme entre développement économique et développement politique de la bourgeoisie, l’un prenant à certains moments le pas sur l’autre.

    Pendant une longue période, il y a accumulation de forces du côté de la bourgeoisie puis, à un moment donné, il y a transformation de la quantité en qualité, bond en avant, changement de société. Les acteurs de cela, ce sont les forces révolutionnaires (le tiers-état) dirigées par la bourgeoisie. La révolution bourgeoise de 1789 – « bourgeoise » par ses caractères et ses résultats, mais il y eut participation active et directe des masses populaires, cette révolution étant également (d’abord ?) un succès du peuple – est la résolution de la contradiction devenue très aiguë, arrivée à son terme, entre les nouvelles forces productives et les anciens rapports de production, entre les classes féodales et le peuple.

    Grâce à cette révolution, la bourgeoisie s’est emparée de la totalité du pouvoir politique, elle a détruit l’Etat féodal et a pris en main les rênes de la direction de la société : « Le gouvernement moderne n’est qu’un comité qui gère les affaires communes de la classe bourgeoise tout entière. »(53).

    Dans une première phase, la bourgeoisie a joué un rôle positif : elle a remplacé la conception féodale du monde par sa propre conception, plus évoluée, plus scientifique. C’est là un progrès historique. Elle a substitué aux anciennes mœurs de nouvelles mœurs : par exemple le mariage féodal (obéissance absolue des enfants aux pères, mariages arrangés, etc.) a été condamné et remplacé par le mariage bourgeois (plus d’autonomie de l’individu majeur). La bourgeoisie a condamné et critiqué l’idée d’un « ordre naturel » (on naît roi ou serf, et on ne peut rien y changer, etc.). A un système où régnaient la hiérarchie des privilèges de naissance et l’absolutisme, elle a substitué un système où règne, sous une certaine forme, dans les affirmations de principe, l’ « égalité politique devant la loi ».

    Mais pour autant, la bourgeoisie a-t-elle remplacé le féodalisme par un système plus juste, où règne l’égalité sociale ? Non bien sûr. Elle lui a substitué un régime encore plus injuste, encore plus « inégalitaire » s’il se peut, car l’injustice et l’inégalité sont ressenties avec encore plus d’acuité. Le mirage de la religion s’étant estompé, les illusions s’étant dissipées, la bourgeoisie a remplacé les relations mystifiées par les rapports d’argent et l’égoïsme, l’individualisme outrancier priment. Elle a substitué à une exploitation voilée, une exploitation ouverte. C’est là l’aspect négatif de la bourgeoisie, aspect qui donne naissance à une nouvelle contradiction, entre bourgeoisie et prolétariat.

     

    Liberté, égalité, fraternité (Partie 11)

     

    Quels sont les caractères qui distinguent le mode de production capitaliste des deux modes de production antérieurs, esclavagisme et féodalisme ?

    Le premier point, c’est que le capitalisme est un système en révolutionnarisation permanente. Sans cesse, il faut innover, appliquer la science à la production, ceci en raison de la concurrence entre capitalistes et de la poursuite du profit maximum. C’est une remise en cause permanente, rien n’est définitivement acquis et le résultat en est un développement considérable des richesses.

    Le second point qui distingue le capitalisme de l’esclavagisme et du féodalisme, c’est que la bourgeoisie cherche à implanter son système partout : c’est le colonialisme. La bourgeoisie « forme un monde à son image » (54), c’est-à-dire qu’elle sape les fondements des sociétés colonisées, et ainsi accélère le processus de développement de l’histoire mondiale. Lorsque le marché intérieur est saturé par un produit, elle part à la conquête de nouveaux marchés, comme l’Inde ou la Chine. Elle importe également à bon compte les matières premières originaires de ces pays. Comme la production industrielle, la production culturelle s’internationalise également : les frontières tombent au profit d’un marché mondial et d’une civilisation uniques.

    Bien sûr, cette exploitation des richesses matérielles et culturelles du monde entier se fait au profit d’un petit nombre de privilégiés : les campagnes sont soumises aux villes de plus en plus tentaculaires, les pays pauvres, ayant une population essentiellement rurale, sont soumis aux pays riches, dominés par les bourgeois, et les pays arriérés d’Orient sont soumis à l’arbitraire des pays industrialisés d’Occident.

    Le capitalisme est une étape nécessaire par laquelle passe l’humanité, étape qui a comme conséquence de porter tant la production économique que la civilisation tout entière à un niveau supérieur : la propriété et le pouvoir politique sont plus concentrés en quelques mains.

    La démarche de l’histoire est la suivante : le système féodal naît et se développe du sein de l’esclavagisme. Les force productives s’accroissent peu à peu, et on arrive à un point où ces nouvelles forces productives ne peuvent plus être contenues dans les anciens rapports de production, devenus trop étroits : c’est une contradiction résolue par le capitalisme, qui brise ces anciens rapports de production et en instaure de nouveaux, basés sur la concurrence, et correspondant aux conditions nouvelles.

    Selon Marx et Engels, l’époque à laquelle ils se trouvent, présente les mêmes caractéristiques : à nouveau, les forces productives, grâce au capitalisme, se sont considérablement développées et à nouveau, elles ne correspondent plus aux rapports de production. Ce qui manifeste le mieux cette situation, c’est l’apparition périodique de crises du système (55). La bourgeoisie ne parvient plus à maîtriser le processus de la production qui, à certains moments, lui échappe complètement. C’est une nouvelle contradiction qui sera résolue par le socialisme. Dans ces périodes de crise, le système s’emballe et, paradoxalement, il y a surproduction (56) : la demande et l’offre ne coïncident plus. Pour résoudre ces problèmes, la bourgeoisie est contrainte, premièrement, de détruire une partie des forces productives, deuxièmement, de conquérir de nouveaux marchés ou d’exploiter plus rationnellement les anciens marchés. Cet état de crise peut disparaître momentanément, mais c’est pour préparer quelques temps après des crises pires encore. Leur solution est relative, jamais définitive, car les causes du déclenchement de ces crises cycliques demeurent : c’est le système capitaliste lui-même, c’est-à-dire la propriété des moyens de production dans un petit nombre de mains, d’une part, et la production de plus en plus sociale, par le grand nombre, d’autre part. Seule la suppression du capitalisme pourra apporter une solution définitive à ces problèmes. Ainsi les armes dont la bourgeoisie s’est servie pour détruire le féodalisme, le développement des forces productives, ces armes se retournent contre elle : ces armes sont utilisées par le prolétariat en vue de la destruction du capitalisme.

     

    1. LE PROLETARIAT

     

    La classe prolétarienne naît et se développe en même temps que la bourgeoisie : ce sont deux aspects inséparables d’une même réalité, et ces deux classes se transformeront et disparaîtront en même temps.

    La classe ouvrière comprend les travailleurs obligés de vendre leur travail et qui produisent la plus-value (57), plus-value qui leur est escroquée par la bourgeoisie. Les travailleurs momentanément privés d’emploi, les chômeurs, appartiennent aussi à la classe ouvrière. Les ouvriers sont traités comme des marchandises, comme des objets soumis à la loi du marché du travail, où les patrons offrent et les ouvriers demandent du travail. Aussi il existe une concurrence entre les ouvriers, concurrence qui les divise et qui profite tout à fait à la bourgeoisie. La condition pour trouver du travail, c’est d’être rentable, de contribuer à l’augmentation du capital. Le travail perd de plus en plus de son intérêt, il est dévalué du fait de l’introduction des machines et de la division du travail. Le machinisme aggrave même les conditions du travail. Par exemple, autrefois, tel produit était fabriqué par un seul artisan, depuis la matière première, jusqu’au produit fini. Il pouvait avoir quelque intérêt à son travail, qui portait sa marque. Le fait de rassembler un certain nombre d’artisans dans un même local, dans un même atelier, permet de diviser la tâche. Déjà, le travail de chaque « artisan » ou ouvrier présente moins d’intérêt : il devient répétitif et monotone. Loin de simplifier le travail, ceci aggrave les conditions de production : il faudra travailler plus vite, sans n’y trouver aucun intérêt supplémentaire. Si, en plus, on introduit de nouvelles machines, la tâche de chaque ouvrier se trouve encore parcellisée, et perd un peu plus de son intérêt. Ce travail élémentaire, qui n’exige plus ni force physique importante, ni connaissance technique, pourra être exécuté par des femmes et même par des enfants.

    Ainsi la société capitaliste fait disparaître les différences de sexe et d’âge en considérant chaque individu comme une force de production interchangeable. Il n’y a plus ni personnalité, ni caractère, ni différence, mais « égalité » devant l’exploitation par le dieu capital.

     

    Comment est déterminé le prix du travail, c’est-à-dire le salaire ?

     

    « Le prix d’un objet, donc le prix du travail est égal à son coût de production. » (58)

    Plus tard, Marx et Engels reviendront sur cette thèse : le travail est une marchandise, et préciseront que les ouvriers vendent aux capitalistes non pas leur travail, mais leur force de travail (30). Le travail, comme n’importe quelle marchandise, est mesuré en fonction du temps socialement nécessaire à la constitution d’un travailleur (prix de sa nourriture, de son logement, de son habillement, de son éducation, etc.). Aussi, du fait que la qualité du travail baisse, son prix, le salaire, baisse également, et a tendance à demeurer au niveau d’argent juste indispensable à la survie du travailleur.

    Sans cesse, les capitalistes ont tendance à augmenter la quantité de plus-value escroquée, soit en augmentant le nombre d’heures (plus-value absolue) (59) en faisant passer la journée de 10 à 12 heures et plus, soit en augmentant la productivité (plus-value relative) (60) en introduisant de nouvelles machines, en faisant travailler plus vite, etc.  .

    Ainsi, le pivot de la société bourgeoise, c’est la recherche du profit maximum, et la classe des travailleurs est modelée sur cet impératif, cet objectif transformant les ouvriers en esclaves de la classe bourgeoise, des chefs, des petits chefs et des machines. L’ensemble de la société se militarise, avec d’une part un grand nombre de soldats, qui ne comptent pour rien, et d’autre part, une élite dirigeante, avec entre les deux une hiérarchie d’officiers et de sous-officiers :

    « Ce despotisme est d’autant plus mesquin, odieux, exaspérant, qu’il proclame ouvertement le profit comme son but unique. » (61).

    Cette exploitation effrénée de la classe ouvrière dans l’entreprise se poursuit également dans toute la vie quotidienne, en particulier au cours de la consommation.

    De nombreux éléments des classes moyennes ne supportent pas la concurrence, sont ruinés, et tombent dans le prolétariat : c’est ainsi que le nombre des prolétaires s’accroît par le paupérisme général.

    Avant la révolution bourgeoise, il y avait union entre le prolétariat et la bourgeoisie pour abattre l’ennemi commun : la noblesse. Mais entre les deux classes existaient déjà des conflits d’intérêt, des oppositions, une contradiction à l’état naissant : déjà le prolétariat était exploité par la bourgeoisie. Les ouvriers se concentraient dans les villes, là où il y a l’industrie ; au début, ils manifestaient leur opposition à l’exploitation par des rébellions individuelles, qui rencontraient des succès éphémères, ou en brisant leurs machines. L’oppression était ressentie instinctivement. Le prolétariat constituait, dès le départ, une classe en soi, mais non encore pour soi (62). Bientôt le prolétariat s’organise en classe, puis en parti politique.

    Une partie de la bourgeoisie, au cours du mouvement révolutionnaire, se rallie au prolétariat : bourgeois ruinés, ou intellectuels bourgeois ayant la prescience de l’avenir de l’humanité, comme Marx et Engels eux-mêmes.

    La contradiction principale oppose la bourgeoisie au prolétariat, mais il existe d’autres contradictions qui, si le prolétariat sait les utiliser, lui profitent : la bourgeoisie est divisée en fractions rivales qui luttent entre elles, ces fractions représentant différents partis et donc des intérêts divergents. La bourgeoisie dans son ensemble lutte également contre l’aristocratie. Enfin, la bourgeoisie d’un pays lutte contre les bourgeoisies des autres pays.

    Les classes moyennes ont une double nature : de fait, elles se sentent plus proches de la bourgeoisie, mais en voie de prolétarisation, elles peuvent devenir révolutionnaires et des alliés du prolétariat.

    Quant au prolétariat, il n’a pas de famille, pas de propriété, pas de nationalité, pas de religion. L’ouvrier ne peut espérer s’en sortir : la révolution prolétarienne est pour lui une nécessité car la bourgeoisie est incapable de régler les contradictions qui minent le système.

    La différence essentielle entre la révolution prolétarienne et les révolutions antérieures est que, pour la première fois dans l’histoire, cette révolution a pour objectif la défense des intérêts de la majorité et la suppression de la domination d’une minorité de privilégiés sur la majorité des travailleurs.

     

     

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