• ROBESPIERRE (2)

    Les sans-culottes ne marchent pas. Quoi ! Prendre les armes pour sauver l’homme qui avait désarmé la Révolution, l’hébertisme, domestiqué la Commune, dispersé les sociétés populaires des sections ? Se battre pour l’homme sous le règne duquel le maximum avait été « assoupli », la vie rendue plus chère, la hausse des salaires ouvriers contenue, les grèves brutalement réprimées !

     

    a)    LA TERREUR : LA VIOLENCE REVOLUTIONNAIRE

     

    On prête à Robespierre le dicton : « On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs ».

     

    Robespierre lie toujours la Terreur et la Vertu :

    « Quel est le principe fondamental du gouvernement démocratique. C’est la vertu, je parle de la vertu publique qui opéra tant de prodiges dans la Grèce et à Rome, et qui doit en produire de bien plus étonnants dans la France républicaine ; de cette vertu qui n’est autre chose que l’amour de la patrie et de ses lois. »

    Le 10 juin 1794 : le début de la Grande Terreur.

     

    Dans un célèbre discours du 5 février 1794, Robespierre en appelle à la terreur pour sauver la Révolution menacée de l'intérieur comme de l'extérieur et lui donne une justification inattendue : «La terreur n'est autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier qu'une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie».

     

    Robespierre est le maître. Il a imposé sa dictature. En se débarrassant des Girondins, puis des partisans de Hébert et de ceux de Danton, il a fait place nette à sa droite et à sa gauche. Ses partisans, les Montagnards, sont minoritaires dans l’opinion. Mais, avec le soutien des sans-culottes parisiens, ils étaient parvenus à établir au printemps 1793 un gouvernement d’exception, afin de briser toute opposition dans le pays : détenteur du pouvoir exécutif, le comité de salut public a organisé la Terreur qui s’appuie sur le tribunal révolutionnaire et sur la loi des suspects. Sont ainsi réputés suspects et arrêtés les ci-devant nobles et leurs parents, toute personne n’ayant pas un certificat de civisme, les prêtres assermentés ou non à la constitution et tous ceux « qui par leur conduite, leurs relations, leurs propos, leurs écrits se montrent partisans des ennemis de la liberté ». Le décret du 10 juin 1794 vient encore durcir ces dispositions : « Toute lenteur est un crime, toute formalité indulgente est un danger public. » Plus d’avocat pour les accusés et une seule peine : la mort ! C’est la Grande Terreur qui s’étend à la France. Rien qu’à Paris, 2000 personnes sont guillotinées au mois de juin. Ce régime s’achève après la mort de Robespierre le 28 juillet. Au total, on estime que 500000 personnes ont été emprisonnées, 300000 assignées à résidence et 16600 ont été exécutées.

    La violence est consubstantielle à la Révolution française.

    La terreur est une forme d’organisation administrative de l’Etat. Affrontements politiques.

    Robespierre a fait jeter sur la planche à bascule les Girondins, ces bourgeois trop bien élevés, et tous ceux qui ont pactisé un tant soit peu avec eux ; il a aussi épuré les Jacobins. Même la tête de certains Montagnards est allée rouler dans le panier à son. Celles de ses amis qui ont pris position trop ouvertement pour les thèses des athées.

    En ce printemps 1794, tous les grands noms qui ont incarné à tour de rôle les idéaux révolutionnaires ont disparu dans la tourmente : Vergniaud, Brissot et 21 de leurs amis, Pétion, qu’il appelait son frère, et Roland, que l’on nommait le Vertueux. Sa femme, Madame Roland, Condorcet, le savant, président de la Convention, qu’il a obligé à se suicider. Il y a eu la fournée des Corrompus, celle des Indulgents, et pour faire bonne mesure, celle des Exagérés. Il a fait couper en deux Hébert et sa bande de lyncheurs, Danton et ses compagnons, Camille Desmoulins, son ancien condisciple à Louis le Grand, à qui il servit de témoins lors de son mariage.

    Si grand est désormais le pouvoir de Robespierre que d’avoir une opinion est déjà un crime de lèse-révolution. Depuis qu’il a obtenu la tête de Louis XVI, il semble lui-même investi d’une sorte de pouvoir absolu, de droit divin. C’est sans débat, sans interrogation, sans discussion et sans défenseur, qu’il a voulu faire jeter le roi dans la fosse à chaux.

    Robespierre : « Si Louis peut être l’objet d’un procès, il peut toujours être absous ; il peut être innocent : que dis-je ? Il est présumé l’être jusqu’à ce qu’il soit jugé ; même si Louis est absous, si Louis peut être innocent, que devient la révolution ? ».

    Seul, il l’est depuis toujours, depuis l’enfance, et la mort qu’il brandit toujours plus haut l’isole tous les jours davantage.

    Deux hommes désormais peuvent seuls franchir comme ils veulent la porte du dieu vivant : Saint-Just et Couthon, le paraplégique.

    Il y a un aspect positif et un aspect négatif de la Terreur. Il y a une Terreur « d’en haut » et une Terreur d’ « en-bas ». La Terreur d’en-bas correspond à la pression exercée par le mouvement sans-culotte. Il y avait parfois convergence entre ces deux tendances.

    Il a pu y avoir aussi répression par la Terreur d’Etat des revendications égalitaires et démocratiques radicales des sans-culottes, et ce dès avant Thermidor – sort des hébertistes, des enragés, de Jacques Roux,… --. C’est même la démoralisation populaire qui s’ensuivit qui éclaire la passivité relative des quartiers populaires lors de la chute de Robespierre.

    La Terreur était nécessaire historiquement pour organiser la mobilisation armée contre les armées monarchiques étrangères et leurs complicités aristocratiques.

     

    Extraits de l’œuvre de Robespierre :

     

    La justice sociale :

    « Les grandes richesses corrompent et ceux qui les possèdent et ceux qui les envient. Avec les grandes richesses, la vertu est en horreur, le talent même, dans les pays corrompus par le luxe, est regardé moins comme un moyen d’être utile à la patrie que comme un moyen d’acquérir de la fortune. Dans cet état de choses, la liberté est une vaine chimère, les lois ne sont plus qu’un instrument d’oppression. Vous n’avez donc rien fait pour le bonheur public si toutes vos lois, si toutes vos institutions ne tendent pas à détruire cette trop grande inégalité des fortunes. » (Discours du 7 avril 1791).

    « La première loi sociale est celle qui garantit à tous les membres de la société les moyens d’exister ; toutes les autres sont subordonnées à celle-là. »

    « Peuple, souviens-toi que si la justice ne règne pas, la liberté n’est qu’un vain mot. »

     

    Liberté du commerce :

    « La liberté du commerce est nécessaire jusqu’au point où la cupidité homicide commence à en abuser », car « il n’y a que l’excédent qui soit une propriété individuelle ».

    « Allez prêcher le culte de la liberté à ces spéculateurs avides qui ne connaissent que l’hôtel de Plutus [Dieu de la richesse dans l’Antiquité romaine]. Tout ce qui les intéresse, c’est de savoir en quelle proportion le système actuel de nos finances peut accroître, à chaque instant du jour, les intérêts de leurs capitaux… » (Numéro du 4 juin 1792 du journal « Le Défenseur de la Constitution »).

    « Nul homme n’a le droit d’entasser des monceaux de blé à côté de son voisin qui meurt de faim. »

     

    La démocratie :

    « La démocratie est un état où le peuple souverain, guidé par des lois qui sont son ouvrage, fait par lui-même tout ce qu’il peut bien faire, et par des délégués tout ce qu’il ne peut faire lui-même. »

    « Ce n’est pas être souverain que d’élire de temps en temps quelques représentants. »

    Pendant la Constituante, Robespierre fera adopter par l’Assemblée une décision à propos de la non-éligibilité des députés de la nouvelle assemblée :

    « Il faut que les législateurs se trouvent dans la situation qui confond le plus leur intérêt et leur vœu personnel avec celui du peuple ; or, pour cela, il est nécessaire que souvent ils redeviennent peuple eux-mêmes. Mettez-vous à la place des simples citoyens et dites de qui vous aimeriez le mieux recevoir des lois : ou de celui qui est sûr de n’être bientôt plus qu’un simple citoyen, ou de celui qui tient encore à son pouvoir par l’espérance de le perpétuer ? » (18 mai 1791).

     

    Droit de propriété :

    Barnave déclare en juillet 1791 : «  Si la Révolution fait un pas de plus, elle ne peut le faire sans danger : dans la ligne de la liberté, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la royauté ; dans la ligne de l’égalité, le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la propriété. »

     

    I)   ROBES-PIERRE NOIRE : L’ŒUVRE REACTIONNAIRE : ROBESPIERRE, REPRESENTANT DE LA CLASSE BOURGEOISE

     

    (B)  LA LUTTE CONTRE L’OPPRESSION POLITIQUE (LE ROI)

    Pour ce qui est de la lutte contre l’Ancien régime, on peut dire que Robespierre a fait largement son travail, travail qui l’a mené à une mort précoce, à 36 ans.

    Il a du utiliser pour ce faire, la violence, et il ne pouvait pas en être autrement, car il en a toujours été ainsi lorsqu’une classe sociale dominée a remplacé une autre classe sociale dominante.

    S’il a contribué à détruire l’oppression féodale, Robespierre n’a pas libéré l’humanité de toute oppression, mais il a remplacé l’oppression féodale par l’oppression bourgeoise, et ceci à divers niveaux :

    ·         Droits bourgeois, dont la propriété bourgeoise (propriété privée des moyens de production) ;

    ·         Culte de l’Etre suprême, et non pas liberté de croyance et de conscience et laïcité ;

    ·         Nouvel esclavage des « bras nus » et du peuple (Loi Le Chapelier, refus de la loi agraire,…)

    ·         Lutte contre les représentants du peuple (Enragés, hébertistes,…)

    En raison du caractère de classe de Robespierre et de la réalité sociale de l’époque, il ne pouvait pas en être autrement.

    Au cours de la période révolutionnaire qui transforme la société féodale en société capitaliste, il convient de tenir compte des éléments suivants :

    ·    Nécessité de recourir à la violence ;

    ·    Tenir compte des classes sociales existantes. La bourgeoisie doit à la fois lutter contre la noblesse et le haut clergé, en tenant compte de l’apport des autres classes sociales du tiers-état (bras nus, artisans, paysans,…), mais aussi contenir les velléités de ces diverses classes sociales inférieures, qui tentent inéluctablement à imposer leurs propres intérêts.

    Déclaration de Robespierre le 5 décembre 1790 (Discours sur les gardes nationales) :

    « Loin de regarder la disproportion énorme des fortunes qui place la plus grande partie des richesse dans quelques mains comme un motif de dépouiller les restes de la souveraineté inaliénable, je ne vois là pour le législateur et pour la société qu’un devoir sacré de lui fournir les moyens de recouvrer l’égalité essentielle des droits, au milieu de l’inégalité inévitable des biens. »

    « L’inégalité inévitable des biens » : cette phrase montre que Robespierre ne saute pas le pas de l’égalitarisme réel, et ne le sautera jamais jusqu’à sa mort.

    Robespierre appartient à la bourgeoisie et ne peut pas concevoir l’égalité de tous devant l’argent. Pour clairvoyant qu’il soit, Robespierre ne conçoit pas une société où il n’y ait pas de riches et de pauvres, mais il demande simplement que les seconds aient autant de droits que les premiers, ce qui est une utopie et un contre-sens, l’argent, seul, permettant souvent l’obtention de droits que les pauvres ne possèderont jamais.

    Jamais Robespierre ne parviendra à prendre conscience clairement de cette question. Il restera un bourgeois toujours révolutionnaire, mais il ne sera jamais du peuple, quoi qu’il fasse, et quelle que soit sa popularité parmi les concitoyens les plus démunis.

    « Je ne suis pas le défenseur du peuple […], je suis du peuple, je n’ai jamais été que cela, je ne veux être que cela. Je méprise quiconque a la prétention d’être quelque chose de plus. »

     

    Le problème des élections :

    La plus grande partie de la bourgeoisie, particulièrement la haute bourgeoisie était favorable à l’élection censitaire.

    Robespierre était favorable au suffrage universel, mais les femmes étaient exclues de ce suffrage, qui demeurera masculin jusqu’en 1944.

    Se pose aussi la question de l’âge du droit de vote : 18 ans en 1974.

    Enfin, la question primordiale est de savoir qui peut être candidat aux élections : pas de présence d’ouvriers ou de paysans pauvres dans les trois assemblées révolutionnaires de 1789 à 1794. Uniquement des bourgeois !

    Se pose donc la question de l’égalité d’accès aux fonctions électives : l’égalité en droit s’oppose à l’égalité de fait. Voir la Grèce et Montesquieu et la question de l’égalité des chances : la seule formule qui donne une même égalité des chances serait le tirage au sort.

     

    1)    LES DROITS DE L’HOMME :

    Cette déclaration de principe, tout en s’inspirant du texte américain de 1776, se définit de portée générale et s’adresse aux hommes de tous temps et de tous les pays, consacrant ainsi sa vocation « universelle ». Les guillemets sont nécessaires à « universel », puisque les droits qu’elle renferme ne s’adressent qu’aux individus de sexe masculin et disposant d’un revenu minimum.

    Avec le Directoire en 1795, on revient à un texte proche de 1789, et pendant 150 ans l’idéologie économique libérale va s’accommoder d’une conception restrictive des droits de l’homme, même si elle a constitué une avancée incontestable par rapport au féodalisme.

    Prédominent les droits individuels, et il faudra attendre la révolution russe de 1917, pour que les divers pays, sous la pression des classes sociales défavorisées, se résolvent à élargir peu à peu le champ d’action des droits de l’homme à des droits collectifs prenant en compte la dimension sociale de la personne humaine.

    Il faudra attendre 1948 et la Déclaration universelle pour que droits individuels et droits collectifs soient proclamés en même temps et sur le même plan, au bénéfice de l’humanité en son entier.

    Robespierre montre une fois de plus ses limites en n’intervenant pas contre la loi Le Chapelier qui, le 14 juin 1791, interdit la grève et les coalitions ouvrières. Etonnante, cette indifférence de la part d’un esprit aussi prêt à sauter sur toutes les occasions pour affirmer les droits du peuple ! La Loi Le Chapelier interdit le groupement de plus de vingt personnes. C’est la loi de 1901 relative aux associations qui abolira complètement la loi Le Chapelier.

     

    Dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789, c’est l’égalité juridique qui est consacrée, c’est-à-dire que ce n’est pas une égalité sociale, économique ou même politique. C’est l’égalité en droit. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit précise l’article 1. Cette égalité signifie égalité devant la loi, et notamment devant la loi pénale. Egalement, égalité d’accès aux emplois. Enfin, égalité devant l’impôt, revendication la plus répandue dans les cahiers de doléances.

    La Déclaration proposée par Robespierre :

    « Le droit de propriété est borné, comme tous les autres par l’obligation de respecter les droits d’autrui. Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral. La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres. Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire sont une dette de celui qui possède le superflu. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la portée de tous les citoyens. Le peuple est le souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis. Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l’homme est essentiellement injuste et tyrannique, elle n’est point une loi. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse. Les hommes de tous les pays sont frères, et les différents peuples doivent s’entraider selon leur pouvoir, comme les citoyens du même Etat. Celui qui opprime une seule nation se déclare ennemi de toutes. Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l’homme, doivent être poursuivis par tous, non comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et comme des brigands rebelles. Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre qui est le genre humain et contre le législateur de l’univers qui est la nature. »

     

    2)    APOLOGIE DE LA PROPRIETE PRIVEE :

    L’expropriation des biens des émigrés et de l’Eglise.

    Les biens nationaux : la vente des biens nationaux attacha sans doute au nouveau régime des milliers d’acheteurs. Mais ceux-ci se recrutaient surtout au sein de la bourgeoisie urbaine.

    Les « bras nus » (sans-culottes, enragés). Prolétaires du XIX° siècle. Problème de la propriété : le droit de propriété est rappelé dans les articles 2 et 17 de la Déclaration de 1789, ce qui en souligne l’importance pour les rédacteurs du texte. Il ne fait que refléter leur état de « possédants » et sa légitimation est destinée à asseoir durablement leur pouvoir. Il est donc de pure opportunité et doit être qualifié d’ « idéologique », car on ne voit pas en quoi la propriété serait consubstantielle à l’homme. A noter également qu’en 1789, l’évolution ne faisait que commencer, et qu’elle prendra son plein régime en 1793 et 1794. Cependant, son caractère bourgeois restera marqué, et le droit de propriété absolue l’emportera, étant codifié notamment dans le code « Napoléon » de 1804.

    La bourgeoisie hésite à chaque instant entre la solidarité qui l’unit au peuple contre l’aristocratie et celle qui unit l’ensemble des possédants contre les non-possédants. Elle redoute davantage le péril rouge que le péril blanc.

    Jaurès note qu’ « aucun des démocrates de la gauche la plus populaire, ni Robespierre, ni Pétion, n’osèrent parler de l’expropriation sans indemnité. »

    Bien des auteurs vont sentir le danger qu’il y a à la trop grande disproportion des fortunes. L’influence de Rousseau est ici déterminante.

    Jean Jacques Rousseau, Le Contrat social : « L’état social n’est avantageux aux hommes qu’autant qu’ils ont tous quelque chose, et qu’aucun d’eux n’a rien de trop. » et « La terre est par l’ordre de la nature, le domaine réel de l’homme. »

    Sylvain Maréchal, futur compagnon de Babeuf écrit dans Des pauvres et des riches en 1791 : « Ce sont les pauvres qui ont fait la révolution, mais ils ne l’ont pas fait à leur profit, car depuis le 14 juillet, ils sont à peu près ce qu’ils étaient avant le 14 juillet 1789. »

    Le problème essentiel, qui est au cœur de la révolution française, c’est bien entendu celui de la propriété et du pouvoir que donne cette propriété.

    Louis XVI, en septembre 1789, réaffirmera la nécessité de l’inégalité des fortunes, au moment où l’ébranlement est donné par la nuit du 4 août 1789. Par la suite, les possédants agitent à leurs propres yeux l’oripeau de la loi agraire, pour que, de leur peur, naisse une cohésion de classe. Ils y réussissent d’ailleurs parfaitement, fin 1792-1793.

    Barnave : « L’anéantissement de la royauté serait suivi de l’anéantissement de la propriété. »

    Marat dans La Constitution, ou projet de déclaration des droits de l’homme (1789) : « Dans une société où certains privilégiés jouissent dans l’oisiveté, le faste et les plaisirs, des biens du pauvre, de la veuve et de l’orphelin, la justice et la sagesse exigent également, qu’au moins une partie de ces biens aille enfin à leur destination, par un partage judicieux entre les citoyens qui manquent de tout : car l’honnête citoyen que la société abandonne à sa misère et à son désespoir, rentre dans l’état de nature, et a droit de revendiquer à main armée des avantages qu’il n’a pu aliéner que pour s’en procurer de plus grand : toute autorité qui s’y oppose est tyrannique, et le juge qui le condamne à la mort n’est qu’un lâche assassin. »

    La différenciation au sein du tiers-état était déjà accentuée et ne cessa, pendant les cinq années de la révolution, de s’approfondir. Le bourgeois de 1789 était déjà un personnage considérable. Propriétaire terrien, gros négociant, industriel, titulaire d’une charge (office de justice, de finances, etc.), son genre de vie, ses manières, son costume même l’apparentait bien davantage à la classe aristocratique qu’à celle des travailleurs manuels. L’inflation, la vie chère, d’un côté, et de l’autre, les fructueuses acquisitions de biens nationaux, les énormes bénéfices réalisés sur les fournitures de guerre creusèrent un début de scission entre bourgeois et sans-culottes. Le pauvre se paupérise davantage, tandis que la richesse du riche se fit plus insolente.

    Les bras nus mènent la révolution bourgeoise jusqu’à son terme. La peur de la bourgeoisie.

    Un divorce dans la bourgeoisie révolutionnaire : Les Girondins ne veulent pas payer le concours des bras nus.

    Girondins et Montagnards sont les membres de la même classe. Il n’y avait entre eux aucune divergence fondamentale. Ils étaient, les uns et les autres, de zélés défenseurs de la propriété privée.

    Les Montagnards, comme Maximilien de Robespierre, de Saint-Just de Richebourg, Hérault de Séchelles, Barère de Vieuzac, Danton, Marat, Hébert, Billaud-Varenne, prônaient aussi le caractère intangible et sacré de la propriété privée, tout comme les Girondins, comme Vergniaud, Roland et Condorcet.

    Girondins et Montagnards dénoncèrent avec une égale horreur la « loi agraire », la communauté des biens. Ils avaient la même crainte de la démocratie directe, de l’intervention du peuple souverain en armes dans la vie publique, du fédéralisme populaire, le même attachement à la fiction parlementaire et à la légalité, au centralisme politique. Les uns et les autres étaient les adeptes convaincus du libéralisme économique. Ils vantaient en termes identiques, les avantages de la liberté sur la contrainte. Ils étaient, du point de vue des principes, hostiles à toute réglementation, à toute taxation.

    Les uns, les Montagnards, n’hésitaient pas à solliciter le concours des bras nus pour sauver la révolution bourgeoise et poursuivre la guerre jusqu’à la victoire. Les autres, les Girondins, en arrivèrent à souhaiter transiger avec la contre-révolution intérieure et extérieure, plutôt que de lâcher la bride, même temporairement, aux sans-culottes.

    Baudot : « Les Girondins voulaient transporter l’action du pouvoir dans les classes comprises dans l’aristocratie secondaire de la société, la Montagne voulait y faire participer la population entière. »

    Entre les deux fractions bourgeoises, il y avait des différences d’intérêts. Les Girondins étaient soutenus par la bourgeoisie intéressée au commerce et à l’exportation des biens de consommation.

    Les Montagnards, au contraire, représentaient la fraction de la bourgeoisie à qui l’inflation, l’acquisition des biens nationaux, les fournitures aux armées, et plus tard les fabrications d’armes procurèrent des bénéfices énormes.

    Les Girondins ne veulent pas payer le concours des bras nus.

    Girondins et Montagnards appartenaient à la même classe. Ils étaient les uns et les autres, de zélés défenseurs de la propriété privée.

    Montagnards : ils avaient des manières aristocratiques : Maximilien de Robespierre, de Saint Just de Richebourg, Barère de Vieuzac, Hérault de Seychelles, Danton, Marat, Hébert, Billard de Varenne,…

    Girondins : Brissot, Vergniaud, Roland, Condorcet, Clavière, Barbaroux, Ducos, Bailleul…

    Le conflit mettait aux prises, non pas deux classes, mais deux fractions d’une même classe :

    ·    Les Girondins et les contre-révolutionnaires à l’intérieur et à l’extérieur ;

    ·    Les Montagnards et les bras nus.

    Le spectre de la loi agraire sera agité dès le mois de septembre, à propos d’un texte de Momoro De la convention nationale (1792). On découvre dans ce texte les germes de conflit qui devait opposer la Commune de Paris à la Convention et finir par la révolution du 31 mai 1793.

    J.P. Rabaut, De l’égalité (1793) : « Le gouvernement démocratique ne peut subsister longtemps avec l’immense inégalité des fortunes. »

    Le député Harmand, de la Meuse, dans un Discours : « Mais comment les institutions sociales peuvent-elles procurer à l’homme cette égalité de fait que la nature lui a refusée sans attenter aux propriétés territoriales et industrielles ? Comment y parvenir sans la loi agraire et sans le partage des fortunes ? »

    Dupont : « L’homme ne tient de la nature qu’un seul droit de propriété, celui du fruit de son travail ; tous les autres sont l’effet de la loi (…). Je pose donc pour second principe que nul individu dans la république ne doit exister sans travailler. »

     

    3)    LA PAYSANNERIE ET LA LOI AGRAIRE :

    Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution :

    « Imaginez-vous, je vous prie, le paysan français du XVIII° siècle…. Voyez-le tel que les documents que j’ai cités l’ont dépeint, si passionnément épris de la terre qu’il consacre à l’acheter toutes ses épargnes et l’achète à tout prix. Pour l’acquérir, il lui faut d’abord payer un droit, non au gouvernement, mais à d’autres propriétaires du voisinage… Il la possède enfin ; il y enterre son cœur avec son grain… Surviennent pourtant les mêmes voisins qui l’arrachent à son champ et l’obligent à venir travailler ailleurs sans salaire. Veut-il défendre sa semence contre leur gibier, les mêmes l’en empêchent ; les mêmes l’attendent au passage de la rivière pour lui demander un droit de péage. Il les retrouve au marché, où ils lui vendent le droit de vendre ses propres denrées ; et quand, rentré au logis, il veut employer à son usage le reste de son blé, de ce blé qui a crû sous ses yeux et par ses mains, il ne peut le faire qu’après l’avoir envoyé moudre dans un moulin et cuire dans le moulin de ces mêmes hommes. C’est à leur faire des rentes que passe une partie des revenus de son petit domaine, et ces rentes sont imprescriptibles et irrachetables. (…) ; et quand il a fini avec ceux-ci, d’autres, vêtus de noir, se présentent, qui lui prennent le plus clair de sa récolte… ».

     

    Gramsci : le jacobinisme est l’alliance de la bourgeoisie révolutionnaire et de la paysannerie. La révolution paysanne et populaire était au cœur de la révolution bourgeoise et la poussait en avant.

     

    Luttes paysannes :

    ·    Jacqueries pour l’abolition de la féodalité ;

    ·    Luttes pour la terre ;

    ·    Emeutes de subsistances ;

    ·    Troubles forestiers ou à propos des droits collectifs traditionnels ;

    ·    Paniques et peurs dégénérant en révoltes armées, telle la classique Grande Peur de 1789.

     

    Deux lignes générales de ces luttes :

    ·    Il s’agit pour le monde paysan dans son ensemble de se libérer de l’exploitation féodale ;

    ·    Il s’agit aussi, pour la paysannerie pauvre, paysans parcellaires et paysans sans terre, de défendre leur droit à l’existence, lié à tout le système de l’agriculture traditionnelle fondée sur les droits d’usage, face au progrès de l’agriculture capitaliste.

     

    Comment le Gouvernement révolutionnaire pouvait-il concilier une politique égalitaire avec la défense des propriétaires contre la « loi agraire », des employeurs contre les revendications des salariés agricoles ? Le temps vint où il fallut choisir : le choix ne faisait aucun doute. De là, l’indifférence, puis la déception parmi les sans-culottes des campagnes.

     

    La Révolution fut loin d’avoir distribué aux paysans toute la terre qu’elle avait attribuée à la nation. La bourgeoisie en conserva une part considérable.

    Qui plus est, elle imposa sa conception de la propriété. La masse rurale n’était pas hostile à la propriété individuelle, mais elle la limitait étroitement par ses conceptions coutumières ; les droits collectifs, vaine pâture et seconde herbe, glanage, droits d’usage dans les forêts et les communaux, équivalaient aux yeux de la petite paysannerie à une copropriété des fonds.

     

    4)    LE DOUBLE POUVOIR ET LE RENFORCEMENT DU POUVOIR CENTRAL :

    Robespierre a su d’abord être à la tête des deux pouvoirs, la convention et la Commune de Paris. Puis il y a scission de ces deux pouvoirs, car contradiction d’intérêt, ce qui explique la chute de Robespierre.

    Il y a synchronisation de deux dates (en 1793) :

    ·    Décret sur la liberté des cultes, le 6 décembre ;

    ·    Décret par lequel furent mis définitivement en place les premiers éléments d’un pouvoir central fort, le 4 décembre.

    La loi du 4 décembre : la bourgeoisie nous présente comme l’apogée de la révolution une loi qui, dans certaines de ses dispositions, marque le début de la réaction.

    C’est l’étape de la formation de la monstrueuse machine de l’Etat par laquelle la bourgeoisie va asservir le prolétariat aux siècles suivants.

    Ainsi, un des mobiles de l’évolution qui commence le 4 décembre semble bien avoir été la volonté de la bourgeoisie révolutionnaire de réduire – en attendant de le briser – le pouvoir des masses.

    Ce fut le Comité de Salut public qui, contre les masses populaires, amorça l’évolution qui, d’étape en étape, devait conduire aux préfets d’Empire.

    Considérant le régime de 1793, il ne faut pas confondre, sous les divers mots de « dictature de salut public », « dictature montagnarde », « dictature jacobine », « gouvernement révolutionnaire », deux sortes de contraintes :

    ·    D’une part, un pouvoir populaire, démocratique, décentralisé, propulsé du bas vers le haut, celui des sans-culottes en armes, groupés dans leurs sections, leurs clubs, leurs communes, exigeant à l’occasion de revers extérieurs le châtiment impitoyable de l’ennemi intérieur ;

    ·    D’autre part, une dictature bourgeoise, autoritaire, centralisée, propulsée du haut vers le bas, et dirigée non seulement contre l’aristocratie, mais aussi et de plus en plus contre les bras nus, contre les organes du pouvoir populaire.

    La tendance vers le premier de ces types de pouvoir se manifeste dès le 10 août 1792 et dans les semaines qui suivent : au lendemain de la chute de Longwy et de Verdun, la Commune insurrectionnelle s’empare d’une partie du pouvoir et elle arrache à la bourgeoisie, ou prend elle-même, des mesures radicales en vue d’écraser la contre-révolution. Les massacres de Septembre marquent l’apogée de cette ébauche de contrainte populaire.

    Mais la bourgeoisie oblige le torrent à rentrer dans son lit, et, par ailleurs, la victoire militaire de l’automne 1792 et du début de 1793, rendent moins nécessaire un régime d’exception.

    La tendance à une contrainte populaire se manifeste à nouveau, en mars-avril 1793, lorsqu’on apprend successivement à Paris, le soulèvement de la Vendée, la trahison de Dumouriez, l’évacuation de la Belgique, l’invasion du territoire national. Les bras nus se soulèvent comme au 10 août, ils exigent que la république frappe vite et fort.

    La bourgeoisie montagnarde craint un instant une explosion du mouvement des masses, le renouvellement des massacres de Septembre, dont elle a conservé un si mauvais souvenir. Elle prend elle-même en main la Terreur. Elle la dirige d’en haut, pour éviter qu’elle ne surgisse d’en bas. Elle crée les rouages d’exception réclamés par les sans-culottes, mais elle les crée sous son contrôle, à son profit ; elle fait servir au renforcement du pouvoir central la pression des bras nus en faveur d’une dictature populaire ; le Comité de Salut public, le tribunal révolutionnaire voient le jour en tant qu’instruments de la domination bourgeoise. Les Girondins comprennent fort bien la différence qu’il y a entre une contrainte populaire, que les Montagnards redoutent autant qu’eux, et la dictature de salut public qui s’instaure. C’est pourquoi ils s’associent au vote des mesures d’exception. Ils en escomptent un renforcement de l’exécutif, dont eux-mêmes, du moins ils l’espèrent, pourront éventuellement tirer profit. C’est ainsi qu’ils essaieront d’utiliser le Tribunal révolutionnaire, peu après sa création, pour faire juger et condamner à mort Marat.

     

    LA LUTTE CONTRE L’OPPRESSION RELIGIEUSE (LE PAPE)

     

    LE CULTE DE L’ETRE SUPREME ET LA LAÏCITE :

     

    LE TRONE ET L’AUTEL, L’UN SUPPORTANT L’AUTRE.

     

    Le déisme de Robespierre n’est pas éloigné de la notion d’un dieu, Grand Architecte de l’Univers, selon Rousseau.

    Robespierre se méfie du clergé, toujours en rapport avec les contre-révolutionnaires, alors que la France est en guerre contre eux, et il demande avec insistance que les prêtres réfractaires au serment à la Constitution et à la vente des biens du clergé soient arrêtés.

    La création du calendrier républicain, les décadis, par Fabre d’Eglantine qui commence en vendémiaire, an II de la république, est faite dans une intention anticléricale pour que la vie des Français ne soit pas rythmée par les fêtes religieuses. La déchristianisation de la France est en marche, la fête de la déesse Raison a lieu à Notre-Dame. De nombreux prêtres se défroquent officiellement et font assaut de zèle révolutionnaire.

    Robespierre, en disciple de Rousseau, est déiste. Il voit d’un mauvais œil cette politique s’accentuer sous la pression des Hébertiste et décide de lui donner un coup d’arrêt. Il le fait lors d’un discours prononcé à la Convention, le 1° frimaire, an II (21 novembre 1793). : « « Gardons-nous de blesser cet instinct sacré et ce sentiment universel des peuples. L’idée d’un Grand Etre qui veille sur l’innocence opprimée et qui punit le crime triomphant est toute populaire. »

    Il prononce cette phrase : « Si Dieu n’existe pas, il faudrait l’inventer. »

    Robespierre élève au niveau de divinités et souhaite que l’on fête la Liberté, l’Egalité, la République, la Vérité, la Justice, la Pudeur, l’Enfance, la Jeunesse, l’Age viril, le Bonheur, etc.

    Sur la charrette qui l’emmène à la guillotine, Robespierre est insulté par des gens qui lui reprochent d’avoir institué la loi du maximum des salaires.

    La fête de l’Unité sur la place de la Concorde le 10 août 1793)

    C’est la fête de l’Unité et de l’indivisibilité, dont les cinq grandes étapes ont été soigneusement mises en scène par David. Elle inaugure les grandes cérémonies de la Convention montagnarde. Les épreuves de l’eau et du feu, qui scandent le parcours initiatique proposé, renvoient à des références maçonniques. 

    Robespierre a contribué à lutter contre le fanatisme religieux et contre le monopole de l’Eglise catholique, le haut clergé étant l’allié de la noblesse. Mais il n’a pas été conséquent dans cette lutte, n’allant pas jusqu’à l’athéisme, ni jusqu’à la laïcité et la séparation de l’église et de l’Etat. Il a préféré substituer au culte ancien le culte de l’Etre suprême.

    Du point de vue religieux, je donnerai à Robespierre une boule noire : s’il a effectivement combattu avec détermination l’Eglise catholique, alors hégémonique, et alliée du féodalisme, contribuant à donner la liberté de croyance aux autres cultes (juif, protestants,…), il n’a pas été jusqu’au bout de la logique. Il a persécuté les déchristianisateurs, et a cherché à imposer le culte de l’Etre suprême, s’inspirant de la profession de foi du vicaire savoyard de Jean Jacques Rousseau.

    Le catholicisme, et la religion en général, sont éminemment un reste féodal de très grande importance.

     

    Importance du calendrier républicain, ou calendrier révolutionnaire français, afin de supprimer toute référence religieuse. Ce calendrier fut utilisé de 1792 à 1806, ainsi que brièvement durant la Commune de Paris de 1871. Le calendrier fut réutilisé pendant 15 jours et uniquement dans le Journal Officiel de la Commune de Paris en 1871 (an 79 ou LXXIX)

     

    5)     LE CULTE DE L’ETRE SUPREME :

    Robespierre : « Prêcher l’athéisme n’est qu’une manière d’absoudre la superstition et d’accuser la philosophie ; la guerre déclarée à la divinité n’est qu’une diversion en faveur de la royauté. »

    « L’idée d’un Grand Etre qui veille sur l’innocence opprimée et qui punit le crime  triomphant est toute populaire. »

    La déchristianisation, la laïcité. Joseph Fouché, déchristianisateur en chef.

    La révolution est impuissante à détruire les fondements religieux de l’autorité monarchique. Michelet voit dans le christianisme et la révolution deux principes incompatibles. Edgar Quinet, pour sa part, affirme que, religieuse en son essence, la révolution procédait de l’inspiration du christianisme primitif.

    Par la Terreur, les révolutionnaires « ont eu peur de la révolution ». (Edgar Quinet).

    Marx : « Tout le terrorisme français ne fut qu’une manière plébéienne d’en finir avec les ennemis de la bourgeoisie, l’absolutisme, le féodalisme et l’esprit étriqué petit-bourgeois. »

    Réinstaurer le culte de l’Etre Suprême. BABEUF.

    Problème de la déchristianisation. Identification entre l’Eglise et la féodalité (Moyen-âge)

    Le 6 mai 1794, l’Incorruptible monte à la tribune. Il a revêtu ses habits sacerdotaux, une redingote bleu ciel et des bas blancs.

    Dans le silence de mort qui accueille à présent chacune de ses apparitions, il se dresse et dévisage d’abord longuement, sans parler, la figure de plusieurs députés présents. Puis il commence avec une voix étrange, à la fois exaltée et monocorde…

    Il établit d’abord que les Français sont au comble du bonheur : « C’est dans la prospérité, dit-il, que les peuples doivent se recueillir pour écouter la voix de la sagesse… »

    Par degrés, il demande aux députés de reconnaître l’existence d’un «  Etre suprême et l’immortalité comme puissance dirigeante de l’Univers. » Puis à la stupeur des uns, à l’enthousiasme des autres,… il veut donner à sa vibrante profession de foi la forme d’un … décret d’application immédiate !...

    Le décret fabuleux qui institue en France une nouvelle religion et propose une fête dans le style des célébrations antiques est voté d’enthousiasme et sans discussion.

    La fête de l’Etre suprême aurait empêché que le catholicisme français ne bascule entièrement du seul côté de la contre-révolution.

    La fête du 8 juin 1794 : autels de l’Etre Suprême ;

    Pour ramener dieu sur terre, Robespierre s’adjoint le plus doué des metteurs en scène, le peintre David. Il règle lui-même la musique des cérémonies et surveille de près l’élaboration des textes confiés à Marie-Joseph de Chénier, frère du grand poète, qui avait lui, encore deux mois à vivre.

    Des statues cyclopéennes se dressent au-dessus des jardins à la française, devenus Jardin national. Elles symbolisent l’Athéisme, l’Ambition, la Discorde et voleront en éclats le jour de la cérémonie…

    C’est le 20 prairial, an II, qu’elle aura lieu et, Robespierre a choisi le dimanche où, selon les anciens rites catholiques, devait se fêter la pentecôte.

    Au Champ-de-Mars s’édifie la Sainte-Montagne.

    Quand l’Incorruptible paraît ; les orchestres entament leurs symphonies sur fond de roulements de tambour. Lorsqu’il parvient à la plus haute place du théâtre, éclate une salve d’artillerie.

    Robespierre : « Il est enfin arrivé, le jour à jamais fortuné que le peuple consacre à l’Etre Suprême ».

    500 000 parisiens l’ovationnent.

    Une femme hurle : « Tu es un dieu, Robespierre ! »

    Eclate la Symphonie au père de l’univers.

    La foule festoie et chante.

    Certains députés maugréent : « Ce n’est pas assez d’être le maître…Ce bougre-là voudrait donc être un dieu ! »

    Ce 8 juin 1794, fête de l’Etre Suprême, il reste à Robespierre cinquante jours à vivre.

    Le sens et le but de cette fête étaient de remplacer le culte païen, desséché et matérialiste de la Raison, par une religion restaurant une transcendance, un dieu,…

    Disciple de Rousseau, qu’il qualifie d’ « homme divin », Robespierre est persuadé que l’homme est un « animal religieux ».

    John Locke, dans la Lettre sur la tolérance : « Ceux qui nient l’existence d’un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole. »

    Stefan Zweig : « On ne pardonne pas à un homme qui vous a fait tant peur. »

    Le 10 thermidor, il est guillotiné avec son frère, Saint-Just, Couthon, et 17 de ses amis, soit 21 personnes au total.

    Ce qui cause sa perte à l’origine c’est la certitude des députés (Fouché, Barras,…) qu’il veut instaurer une religion nouvelle dont il sera le grand prêtre. Ce n’est pas bien sûr, le dieu de la religion chrétienne qu’il voulait instaurer. Il voulait certainement en finir radicalement avec les institutions chrétiennes et abolir 2000 ans de christianisme « perverti » pour revenir à l’esprit et à la liturgie de la République romaine, à la religion de l’Antiquité.

    Au début de 1793, l’aile la plus importante et la plus riche de la bourgeoisie (la Gironde), lâche pied par peur et par haine des sans-culottes. La Montagne, fraction la plus audacieuse de la bourgeoisie, va hésiter à son tour à pousser la lutte jusqu’au bout. La Montagne va donner un brusque coup de frein à la déchristianisation, parce que terrifiée par le torrent révolutionnaire. C’est précisément parce que la bourgeoisie fut sans cesse poussée en avant, harcelée par une avant-garde prolétarienne (enragés, hébertistes,..) que des coups décisifs purent être portés à la contre-révolution.

    Marx : « La bourgeoisie, avec ses conceptions timorées et trop conciliants, n’eût pas eu assez de plusieurs dizaines d’années pour achever cette besogne. » Si elle l’accompagne en moins de 5 ans, ce fut grâce à « l’intervention sanglante du prolétariat ».

    Engels : « Sans l’élément plébéien des villes, la bourgeoisie seule n’aurait jamais mené la bataille jusqu’à la décision. »

    Nous verrons la Montagne donner un brusque coup de frein à la déchristianisation parce que, terrifiée par le torrent révolutionnaire, elle préféra, avec Robespierre, ne pas se priver complètement de l’appui que pouvait lui apporter l’Eglise et la religion, gardienne traditionnelle de l’ordre.

    Société des Amis de la Liberté et de l’Egalité – Séance du 1° frimaire an II (21 novembre 1793) – 2° intervention : Pour la liberté des cultes.

    La déchristianisation s’était d’abord affirmée dans les départements, sous l’impulsion de certains représentants en mission, ainsi Fouché dans la Nièvre et l’Allier. Elle fut ensuite imposée du dehors à la Convention. Le 16 brumaire an II (6 novembre 1793), l’Assemblée décréta qu’une commune avait le droit de renoncer au culte catholique. La déchristianisation, dès lors, se précipita. Le 16 brumaire, aux Jacobins, Léonard Bourdon prononça un violent discours contre les prêtres, puis le Comité central des sociétés populaires, où s »’agitaient des extrémistes comme Desfieux, Pereira, Proli, donna lecture d’un projet de pétition pour la suppression du budget des cultes. Le 17 brumaire (7 novembre), sous la pression des promoteurs de cette pétition, soutenus par les représentants Anacharsis Cloots et Léonard Bourdon, Gobel, évêque de Paris, paraissait à la barre de la Convention, avec ses vicaires, et se démettait solennellement.

    Le 20 brumaire (10 novembre) eut lieu, sur l’initiative de Chaumette et de la Commune, une fête de la Liberté dans la ci-devant église métropolitaine Notre-Dame. La Convention, qui avait assisté en corps à cette fête, décréta, à la requête de Chaumette, que Notre-Dame serait consacrée à la Raison. En quelques jours, la vague de déchristianisation  emporta les sections parisiennes. Le 3 frimaire (23 novembre), la Commune sanctionna un état de fait en décidant la fermeture des églises.

    Le péril de l’athéisme militant fut dénoncé, dès le 17 brumaire, par Laveaux, dans l’officieux Journal de la Montagne. Son article suscita le lendemain, aux Jacobins, une première escarmouche entre partisans et adversaires de la déchristianisation. Hébert reprocha à Laveaux « d’avoir ouvert sur Dieu, un être inconnu, abstrait, des disputes qui ne convenaient qu’à un capucin en théologie ». Robespierre cependant, prenant l’offensive, aux Jacobins, rompit le courant et mit fin aux hésitations de la Convention. Le 19 brumaire, il fit l’apologie de la politique gouvernementale, attaqua les sociétés sectionnaires qui constituaient un des éléments les plus actifs de la déchristianisation, et dévoila les ambitions secrètes de Hébert et des siens : « Ils veulent nos places…Eh bien ! Qu’ils les prennent. » Le 27 brumaire, dans son rapport sur la situation extérieure de la république, il signale le danger de la déchristianisation : elle risque d’aliéner les neutres.

    Le 1° frimaire, Robespierre revient à la charge, aux Jacobins, et se prononce avec force pour la liberté des cultes. Tout en dénonçant ceux qui « veulent faire une sorte de religion de l’athéisme lui-même », il prend soin, pour ne pas accentuer les divisions naissantes dans le parti de la Montagne, de ménager Hébert. Il réserve ses coups aux « agents de l’étranger », Desfieux, Dubuisson, Pereira, Proli, « ces hommes immoraux », qu’il fit exclure de la Société. Robespierre reconnaissait cependant la nécessité de surveiller le clergé, de dépouiller les églises pour alimenter le Trésor, mais il stigmatisait les violences. Toutes les propositions de Robespierre furent adoptées par la Société.

    La Mère de Dieu :

    Catherine Théot, née le 5 mars 1716 à Barenton, décédée le 1° septembre 1794 à la Petite Force à Paris, est une mystique et une visionnaire française, prophétesse autoproclamée de la fin de l’ancien régime et de l’époque de la révolution française.

    En juin 1794, quelques semaines avant sa chute, les ennemis de Robespierre au Comité de sûreté générale, sans doute avec la complicité de certains membres du Comité de salut public, montent grâce à elle « une affaire »destinée à le ridiculiser ainsi que le culte de l’Etre suprême auquel il est associé.

    En 1793, les « enragés », rassemblés autour de Hébert, ont résolu d’en finir avec l’Eglise. Leur porte-parole, Chaumette, un philanthrope, inventeur d’une guillotine à roulettes, qui facilite grandement la besogne des trancheurs, est saisi d’une véritable frénésie anticatholique.

    Dans les cimetières, il fait remplacer les croix par des statues du Sommeil, puisque l’âme ne peut être immortelle, et aux évêques « jureurs », il demande de jeter la mitre, la crosse et l’anneau, et de proclamer : « Tous les titres du charlatanisme sont déposés à la tribune du peuple, nous sommes régénérés ! ».

    Robespierre ne veut pas extirper du cœur des Français le sentiment religieux. Mais il veut qu’ils embrasent une religion nouvelle. Qu’ils remplacent l’adoration de Dieu de l’Eglise par le culte de l’Etre suprême, fondé sur la raison et la fraternité. Le 18 floréal an II, ou 7 mai 1794, il fait voter par la Convention, où nul désormais n’ose le contredire, l’acte de naissance d’une religion dont il sera le grand pontife. Pendant … un peu plus d’un mois ! C’est déjà beaucoup trop pour les partisans de l’athéisme absolu. Certes Hébert vient d’être coupé en deux, mais ses amis, aux Jacobins et même à la Convention, cherchent et s’agitent. Pendant que Robespierre établit avec David, le peintre, et Chénier, le poète, les rites et les cantiques de la nouvelle religion, ils cherchent comment jeter au bas de ses autels cet Etre là, et son pontife.

    Ennemis de Robespierre, Vadier, député montagnard qui exècre tout autant Robespierre que sa divinité, et Barère, surnommé « l’Anacréon de la guillotine », montent de toute pièce l’affaire Catherine Théot, servante, illettrée, catéchèse, la Mère e Dieu.

    La Mère enseigne que l’Incorruptible est le nouveau Messie, l’incarnation de l’Etre suprême, envoyé sur la terre pour faire de la France le Paradis.

    Fête de l’Etre suprême. A la Convention, huit jours après, Barère fait éclater sa bombe : Robespierre était le disciple d’une vieille folle mystique ! C’est Catherine Théot, la Mère de Dieu, qui a inventé l’Etre suprême et qui a persuadé l’Incorruptible qu’il était le nouveau Messie !

    La police trouve chez Catherine Théot une recette pour fabriquer une épée magique qui rend invisible, mais surtout de nombreux brouillons de lettres, toutes adressées à son « cher fils » Robespierre et dans lesquelles elle le gratifie du nom de « Guide des milices célestes » et d’ « ange du Seigneur ».

    Rapport fait par Vadier le 27 prairial (15 juin 1794) : alors que Robespierre présidait la convention, Vadier prétendit dévoiler la conspiration de Catherine Théot – spirituellement rebaptisée Théos --, une vieille illuminée. Parmi ses adeptes se trouvaient l’ancien constituant Dom Gerle, à qui Robespierre avait fait délivrer un certificat de civisme, et un médecin mesmérien Quesvremont Lamotte.

    Deux manœuvres semblent avoir été dirigées pour ridiculiser Robespierre :

    o   Le 15 juin 1794, Marc Vadier (1736-1828), membre du Comité de sûreté générale, lit un rapport prouvant que la fête de l’Etre Suprême a été organisée en liaison avec un groupe d’illuminés se réunissant rue de la Contrescarpe, comprenant le chartreux dom Gerle (1736-1801), les prophétesses Suzanne Labrousse (1747-1821) et Catherine Théot (1716, 1° septembre 1794). Ce groupe saluait Robespierre comme le Messie.

    o   On exécute, revêtus de chemises rouges (tenue des condamnés pour parricide), une simple d’esprit, Cécile Renault (20 ans), accusée d’avoir voulu poignarder Robespierre le 23 mai, et 52 autres accusés considérés comme ses « complices ». L’opinion publique est choquée de la mégalomanie du « tyran » (qui n’a rien fait pour interdire la mascarade).

    Lors de la fête du 20 prairial an II apparaissent les premières manifestations antirobespierristes, troublant l’étonnant cérémonial davidien : « Parmi ceux qui dirent beaucoup d’injures à Robespierre pendant la procession, confie Baudot, je distingue particulièrement Thirion, Ruamps, Montaut, Duhem, Le Cointre de Versailles. » Tous étaient de la Montagne et trois d’entre eux passaient pour proches de Danton, dont Le Cointre qui aurait alors déclaré : « Robespierre, j’aime ta fête, mais toi, je te déteste ! ».

    Robespierre ne suit pas Rousseau dans sa rigueur lorsqu’il autorise le bannissement de l’incroyant « non comme impie, mais comme insociable ». Ainsi, lorsque le 26 floréal (15 mai) 1794, le jeune Julien (de Paris), agent du comité de salut public et commissaire à l’Instruction publique, propose aux Jacobins une adresse de félicitations à la convention où figure la proposition de bannir les athées de la république, Robespierre demande le retrait de ce paragraphe, sur le motif que « ce serait inspirer trop de frayeur à une grande multitude d’imbéciles ou d’hommes corrompus. ». Et de conclure : « Je crois qu’il faut laisser cette vérité dans les écrits de Rousseau, et ne pas la mettre en pratique. »  A la même séance, d’ailleurs, il prend la défense du Montagnard Lequinio ; accusé s’athéisme pour ses écrits Les préjugés détruits et Du bonheur : « Lorsque nous avons développé les principes immortels qui servent de base à la morale, di Robespierre, nous en avons parlé en hommes publics et sous le rapport de l’intérêt sacré de la liberté (…). Que nous importe ce que tel a dit, ce qu’il a écrit ? Ce qui nous intéresse est de savoir si tel est un conspirateur. »

    On a souvent opposé Danton à Voltaire et Rousseau pour écrire que, pour Voltaire, il fallait un trône sans l’autel, pour Rousseau, un autel sans trône, tandis que pour Danton, il ne devait y avoir ni autel, ni trône.

    Robespierre dans son Rapport dénonçait bien sûr l’Eglise et ses « prêtres ambitieux » qui avaient voulu légitimer les monarchies (le despotisme) et s’étaient érigés en autorités intermédiaires (tyranniques) entre l’homme et la Divinité : rien de très original, ici, en cette fin du XVIII° siècle.

    MATERIALISME ET IDEALISME :

    De cette conception de L’Etre suprême de Robespierre, résulte la double conception suivante, qui vise à maintenir la religion, tout en permettant la possibilité de la science :

    o   Du point de vue de sa pratique, le savant est résolument matérialiste et athée (la raison seule, déterminisme, méthode expérimentale, observation et expérimentation,…)

    o   Du point de vue de sa vie privée, le savant peut croire en une religion (la foi, Dieu, la création,…)

    Cette conception du monde repose sur le cartésianisme (métaphysique idéaliste chrétienne, physique matérialiste athée), et la conception déiste de Voltaire : « Si Dieu n’existe pas, il faut l’inventer », car c’est une conception utile pour contenir les velléités de libération du peuple.

    A la différence que Robespierre instaure une religion d’Etat. Ce sera un obstacle à la mise en œuvre du principe de laïcité, qui devra attendre 1905. A cette conception s’oppose la conception résolument matérialiste et athée des déchristianisateurs, des enragés, puis de Babeuf.

    On a chez Rousseau (Profession de foi du vicaire savoyard) la base du culte de l’Etre suprême, un dieu statique réfutant les tendances religieuses, au nom du pur individualisme.

    Ce culte de l’Etre suprême sera la base idéologique et culturelle de l’Etat bourgeois français, né de la révolution bourgeoise de 1789.

     

    LA LUTTE CONTRE L’OPPRESSION MILITAIRE (LE GENERAL)

    Robespierre, tant qu’il siège à la Constituante, se méfie des officiers de l’armée, qu’il trouve suspects, en particulier La Fayette.

    Robespierre est d’abord hostile à la guerre. Il prend en compte l’impréparation de l’armée française, dont les officiers ont pour la plupart rejoint l’émigration.

    Robespierre, avant de précipiter la France dans une guerre à laquelle elle n’est pas préparée, préconise un certain nombre de mesures, ne pas déclarer la guerre actuellement, fabriquer des armes, armer le peuple au besoin avec des piques, surveiller de près les ministres et les punir s’il le faut, s’occuper du peuple et de sa misère avant de se lancer dans un conflit coûteux.

    Et il convient avant tout de pourchasser les prêtres réfractaires qui constituent à ses yeux un foyer de contre-révolution.

    Robespierre sait bien que la Cour peut tirer profit d’une guerre et qu’elle intrigue dans ce sens.

    L’obsession de Robespierre, qui sur ce point n’a pas tort, reste l’encadrement des armées par des officiers naturellement issus de l’Ancien Régime et peu enclins à servir le nouveau pouvoir. Ainsi, dénonce-t-il sans cesse leur trahison.  Les erreurs et les crimes de la révolution : les fusillades qui se multiplient à Lyon et à Nantes Carrier noie de prétendus suspects en liant homme et femme l’un à l’autre en appelant cela « un mariage républicain », pendant qu’à Lyon, Fouché se conduit comme un criminel, et que les Vendéens sont exterminés. Tallien mène également des exactions sanguinaires à Bordeaux.

    Il convient de distinguer au XVIII° siècle, deux types de guerres : les guerres de rapine, guerres pour se procurer des richesses, et les guerres de libération, guerres contre l’oppression. Les premières sont des guerres injustes, les secondes sont des guerres justes. Ainsi, la guerre pour dominer la Belgique, entre l’Angleterre et la France est une guerre de rapines. Par contre la guerre entre les rois coalisés et la France républicaine est une guerre juste pour propager les idées nouvelles en Europe et au-delà.

    Robespierre s’est opposé aux guerres injustes et a prôné les guerres dans l’intérêt général.

    Du point de vue militaire, ma position est mitigée, mais plutôt j’attribuerai une boule blanche.

    Robespierre a bien entrevu l’aspect impérialiste des guerres entreprises par une partie de la haute bourgeoisie (Belgique, colonies,…). Il s’est rendu compte également que les fauteurs de guerre (la Cour, les Girondins,…) avaient pour objectif réel et caché d’affaiblir et de faire envahir le territoire français par les ennemis de la République.

    Il s’opposait à l’extension des droits révolutionnaires par les fusils : les idéaux révolutionnaires et la destruction des systèmes féodaux ne s’exportent pas par la force armée.

    Cependant, il a su mener le combat pour préserver les acquis révolutionnaires.

     

    6)    LA GUERRE EXTERIEURE :

     

    Engels : « Toute la Révolution française est dominée par la guerre de coalition ; toutes ses pulsations en dépendant. L’armée de la coalition pénètre-t-elle en France ? – prédominance du vagus battement de cœur violent, crise révolutionnaire. Est-elle contrainte de déguerpir ? Alors le sympathicus prend le dessus, les battements de cœur se ralentissent, les éléments réactionnaires se poussent de nouveau au premier plan, les gens de la plèbe […] sont mis à la raison et rangés à l’ordre. »

    Point faible de Robespierre, par lequel il cessait d’être l’homme représentatif de la bourgeoisie révolutionnaire : il n’était pas partisan de la guerre d’expansion, de l’épopée militaire.

     

    Discours contre la guerre :

    « C’est pendant la guerre que le pouvoir exécutif déploie la plus redoutable énergie et qu’il exerce une espèce de dictature qui ne peut qu’effrayer la liberté naissante ; c’est pendant la guerre que le peuple oublie les délibérations qui intéressent ses droits civils et politiques pour ne s’occuper que des événements extérieurs, qu’il détourne son attention de ses législateurs et de ses magistrats pour attacher tout son intérêt et toutes ses espérances à ses généraux et aux ministres du pouvoir exécutif. »

     

    Robespierre, le 18 décembre 1791 : « La nation ne refuse point la guerre si elle est nécessaire pour acheter la liberté ; mais elle repousse tout projet de guerre qui serait proposé pour anéantir la liberté et la constitution sous le prétexte de la défendre. »

    Il fait allusion au parti de la guerre autour du roi « qui espère que celle-ci nous sera défavorable et rétablira le souverain dans ses droits anciens. »

    Le 20 avril 1791, l’Assemblée législative décide de déclarer la guerre « au roi de Bohême et de Hongrie ».

    Robespierre : « Puisque la guerre est décrétée […] il faut faire comme je l’ai proposé plusieurs fois, non pas la guerre de la cour et des intrigants dont la cour se sert, mais la guerre du peuple : il faut que le peuple français se lève désormais et s’arme tout entier, soit pour combattre au-dehors, soit pour surveiller le despotisme au-dedans. »

    La déclaration de guerre est pleine d’arrières pensées :

    ·    Les brissotins veulent, avec la guerre, briser la monarchie ;

    ·    La guerre peut permettre de relancer la Révolution ;

    ·    La guerre peut permettre au roi de retrouver tous ses pouvoirs.

    Deux guerres différentes :

    ·    La guerre contre les émigrés et leurs alliés, les rois de l’Europe ;

    ·    La guerre bourgeoise pour la suprématie commerciale et pour les colonies.

    Ces guerres coutèrent à la France, jusqu’en 1799, un peu moins de 500 000 hommes.

    Comportement par rapport à la guerre :

    Les Girondins sont favorables à une croisière de la libération en Europe. Ils veulent aussi un compromis avec le roi.

    Les paysans plutôt contre-révolutionnaires en Vendée.

    Robespierre estime qu’il y a trois risques dans la guerre :

    ·         L’occupation de peuples ;

    ·         La diversion : le retour du mouvement de réaction en France ;

    ·         Le despotisme si l’aspect militaire prend le dessus.

    Robespierre est pacifiste par rationalité.

    Puis, quand la guerre éclate, il faut gagner la guerre, mais ne pas faire une guerre d’annexion.

    L’ennemi  extérieur entre sur le territoire national : guerre révolutionnaire, guerre juste, de défense de la Révolution.

    L’armée française pénètre sur le territoire étranger : guerre injuste, de rapine et de butin (annexions), guerre de conquête. Robespierre n’ayant pas réussi à éliminer Carnot, ce fut Carnot qui liquida Robespierre.

    Solutions pour financer la guerre : l’impôt, ou l’emprunt. Les biens nationaux. Refus de la bourgeoisie.

    L’inflation finance la guerre : Voici l’évolution d’un assignat de 100 francs :

    ·    Juin 1791 : 85

    ·    Janvier 1792 : 66

    ·    Mars : 53

    ·    Janvier 1793 : 55

    ·    Mars : 50

    ·    Avril : 47

    ·    Juillet : 33

    ·    Septembre : 29.

     

    La révolution bourgeoise avait financé sa guerre en détroussant les pauvres gens :

    Inflation : valeur d’un assignat de 100 francs :

    Juillet 1794 : 34

    Août : 32

    Septembre : 31

    Octobre : 28

    Décembre : 22

    Janvier 1795 : 19

    Mars : 16

    Avril : 12

    Mai : 8

    Juin : 4

    Juillet : 3

    Septembre : 2

    Octobre : 1

    Novembre : 0.87

    Mars 1796 : 0.29

     

    Chiffes éloquents et qui tracent la courbe des souffrances et des colères populaires. Les conséquences : hausse rapide des denrées de première nécessité, d’une part, pénurie de ces mêmes denrées, d’autre part.

    Les représentants du peuple (Roux, Leclerc, Varlet) entrevirent que la guerre – la guerre bourgeoise, la guerre pour la suprématie commerciale – aggravait la condition des bras nus ; ils aperçurent la grande escroquerie de l’inflation, source de profits inouïs pour les riches, ruineuse pour le pauvre.

    La scission à éviter :

    Le développement intrinsèque de la révolution devait à lui seul conduire à une différenciation au sein du tiers-état. Mais un événement extérieur à la révolution et qui se greffa sur elle accéléra le processus de scission entre bourgeois et bras nus : la guerre. La bourgeoisie finança la guerre par l’inflation. La guerre, l’inflation lui procurèrent des profits énormes. Mais, parallèlement, l’émission désordonnée de signes monétaires eut pour conséquence la disette et la vie chère. Le contraste, chaque jour plus criant ente l’opulence bourgeoise et la détresse populaire creusa, surtout dans les villes, un embryon de scission entre les riches et les pauvres.

    Malgré leur lutte commune contre l’ancien régime, les deux fractions du tiers-état s’opposèrent l’une à l’autre, commencèrent à se constituer en deux classes distinctes aux intérêts antagonistes. A Paris, notamment, une avant-garde aperçut, bien qu’encore confusément, que cette révolution à laquelle elle avait prêté la force de ses bras et pour laquelle elle avait versé son sang, ne lui apportait pas en fait l’égalité proclamée en droit, qu’elle enrichissait les uns et appauvrissait les autres.

    La guerre, du côté français, la prétention d’apporter la liberté aux pays voisins semble bien n’avoir été qu’un prétexte recouvrant des appétits très matériels.

    Qui paiera la guerre ?

    Puisque la bourgeoisie ne voulait pas payer (ni impôt, ni emprunt), il ne restait qu’une seule ressource : puiser les milliards nécessaires à la guerre, pour une part, dans les poches des contre-révolutionnaires et, pour une part beaucoup plus importante, dans les poches du peuple. La bourgeoisie confisqua les biens du clergé et des émigrés, et elle se lança dans l’inflation. Saint-Just : « La république, entraînée dans la guerre universelle, fut obligée de multiplier les monnaies pour subvenir à d’énormes dépenses. »

    Conceptions divergentes sur la question de la guerre : Robespierre se brouille avec Carnot.

    Les relations entre les membres du comité de salut public s’étaient dégradées depuis floréal an II, notamment entre Carnot et Saint-Just. La campagne s’étant mal engagée sur la frontière du Nord, des considérations stratégiques opposèrent bientôt les deux hommes, le militaire n’entendant pas recevoir de leçons. Carnot, qui s’était déjà prononcé pour la guerre de conquête, en 1793, proposait l’annexion de la Flandre maritime et une expédition en Hollande, alors que Saint-Just prônait une tactique strictement défensive sur la Sambre. Dans le domaine militaire, Carnot se situait aux antipodes de Robespierre, Saint-Just ou bien Billaud-Varenne.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Quatrième partie : LA LUTTE CONTRE LES « BRAS NUS »

    Dans cette troisième partie, enfin, je souhaite donner quelques éléments sur les intérêts défendus par les représentants les plus proches des « bras nus », ceci contre la bourgeoisie et Robespierre.

    Robespierre et son groupe ont-ils été incapables de dresser un programme social cohérent ?

    « Citoyens, déclarait Billaud le 1° floréal, nous avons promis d’honorer le malheur, il sera bien plus beau de le faire disparaître. ». Tel était déjà le projet social qu’annonçait Saint-Just le 8 ventôse dans son Rapport « Sur les personnes incarcérées » : « Abolissez la mendicité qui déshonore un état libre. », et le 13 ventôse, il lançait la proposition « d’indemniser tous les malheureux avec les biens des ennemis de la révolution. » En ce sens, le décret du 22 floréal complète le maximum général décrété en septembre 1793. Selon Saint-Just il s’agit de rallier les patriotes indigents pour lesquels on n’a encore rien fait, de montrer que le bonheur, « idée neuve en Europe », n’est pas une idée creuse. Ayant pour objectif, comme les décrets de ventôse, de « faire tourner la révolution au profit de ceux qui la soutiennent », elle inaugure aussi un nouveau lien social. Elle réalise les promesses de la Déclaration des droits, et fit des secours publics une « dette » de la société.

     

    A)   LA LUTTE CONTRE LES REPRESENTANTS DES BRAS NUS :

    Selon Victor Hugo, dans les Reliquats de Quatre-vingt-Treize, « Le peuple qui suivait Robespierre, c’était le peuple, le peuple qui suivait Danton, c’était la nation […] Le peuple qui suivait Marat, c’était la populace. »

    La lutte contre les bras nus a pour objectif d’asseoir la domination de la bourgeoisie.

    Fondamentalement conservatrice, la première révolution n’avait ni allégé l’impôt, ni détruit le féodalisme. Elle avait, en revanche, coïncidé avec une paupérisation accrue des masses et un schisme religieux.

    La Convention, au nom de la défense de la révolution, s’engagea de plus en plus dans la voie de l’extrémisme. Autour de Robespierre, certains commençaient à mettre en cause le libéralisme économique.

    Grâce à l’appui ambigu des sans-culottes, les jacobins réussirent à imposer leur dictature.

    Les bras nus se dressaient contre la révolution. Ils protestaient contre une révolution inachevée.

    Les 730 élus de la Convention firent cependant une politique économique favorable à la propriété privée et à la liberté du commerce des grains, hostile aux émeutes de subsistances et aux troubles agraires. Aucun conventionnel, même à l’extrême gauche, ne s’identifia jamais aux aspirations populaires sur ce point.

    La Commune de Paris : les militants parisiens obtinrent le 5 avril, un impôt forcé sur les riches, destiné à financer le pain des pauvres.

    A  partir de novembre 1793, Robespierre va se poser sous un aspect nouveau, « en guillotinant l’anarchie ». C’est ainsi qu’il appelait les premiers socialistes, Jacques Roux, etc. Au cœur de Paris même, dans les noires et profondes rues ouvrières (les Arcis, Saint Michel) fermentait le socialisme, une révolution sous la révolution. Robespierre s’alarma, frappa, et se perdit…Dès cette heure, il était perdu.

    Les enragés, les hébertistes et les babouvistes tentèrent de dépasser le cadre de la révolution bourgeoise. De 1789 à 1794, la révolution a progressé par bonds successifs. Ensuite, la bourgeoisie a empêché les sans-culottes de pousser plus loin.

    Fin novembre 1793, puis le 9 thermidor (27 juillet) 1794 sont les points où la révolution atteint son apogée, et où le reflux commence.

    Karl Marx : « La théorie devient une force matérielle lorsqu’elle s’empare des masses. » (Critique de la philosophie du droit de Hegel).

    Karl Marx : « Des idées ne peuvent jamais mener au-delà d’un ancien état du monde, elles ne peuvent jamais que mener au-delà des idées de l’ancien état de choses. Généralement parlant, des idées ne peuvent rien mener à bonne fin. Pour mener à bonne fin des idées, il faut des hommes qui mettent en jeu une force pratique. » (La Sainte Famille)

    Dans les fracas de l’écroulement d’une vieille société, en même temps qu’il faut se battre aux frontières, la contre-révolution est là, partout, avec ses traitres avoués, issus de l’ancien règne des rois et des prêtres, ou cachés en faux révolutionnaires qui ont peur d’être entraînés au-delà de leurs intérêts nés de la révolution.

    Ce qui distingue l’avant-garde des sans-culottes des Robespierristes et des Jacobins, c’est déjà une notion de classe, diffuse, certes, et que pour eux les mesures révolutionnaires ne sont pas de circonstance.

     

    1)    Hébert et les hébertistes :

    Plébéiens : par plébéiens, j’entends des hommes issus du peuple ou proche du peuple, mais déjà élevés au-dessus du peuple, différenciés de celui-ci, et ayant, par conséquent, des intérêts particuliers distincts des siens. Qu’ils fussent d’origine populaire, comme Chaumette et Rossignol, où qu’ils fussent des bourgeois déclassés comme Hébert et Ronsin, ils n’étaient pas les interprètes directs et authentiques des bras nus.

    Les mots d’ordre du mouvement « exagéré », en partie repris de ceux de Jacques Roux et des Enragés sont : répression contre les accapareurs, taxes sur les « riches », création d’armées révolutionnaires, etc. Mis en cause pour ses positions « extrémistes », et pour son soutien à la déchristianisation, Hébert est attaqué par les « Indulgents », mais aussi par Robespierre.  En ventôses an II, les Cordeliers dénoncent les « endormeurs » du Comité de salut public et en appellent à une nouvelle insurrection. Le 23 ventôse (13 mars 1794), Hébert et ses amis (Ronsin, Momoro, Vincent, etc.) sont arrêtés. Condamnés à mort par le Tribunal révolutionnaire, ils sont guillotinés le 4 germinal (24 mars), quelques jours avant les Indulgents. Avec ce « drame de germinal », le gouvernement révolutionnaire se coupe d’une partie de son soutien révolutionnaire.

     

    Pour contenir les bras-nus, il fallait d’abord écraser l’hébertisme. Mais avant de frapper les hébertistes, il fallait, par une habile démagogie, les dissocier des masses.

    Saint-Just : « Ceux qui font des révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau. La Révolution nous conduit à reconnaître ce principe que celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire. […] Les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour tous les malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre. Le gouvernement repose sur la liberté, l’état civil sur l’aristocratie. […] Pouvez-vous rester loin du peuple, votre unique ami ? […] Osez ! Ce mot renferme toute la politique de notre révolution. […] Ne souffrez point qu’il y ait un malheureux ni un pauvre dans l’Etat. »

    Hébert était partagé entre deux sentiments contraires : d’une part, la crainte (crainte du mouvement des masses, crainte de la répression gouvernementale) ; d’autre part, l’envie qu’il avait d’entrer au ministère de l’Intérieur, et d’y remplacer Paré, qui, protégé par Danton et Robespierre, lui avait soufflé ce portefeuille l’été précédent.

    Ecartelé entre la bourgeoisie et l’avant-garde populaire, Hébert n’avait eu que des velléités d’action, stimulées par l’ambition, refoulées par la peur.

    La bourgeoisie montagnarde hésita. La guerre n’était pas finie et, dans une certaine mesure, elle avait encore besoin de ménager les sans-culottes.

    Dans la nuit du 13 au 14 mars, Hébert et ses partisans se laissèrent prendre sans avoir tenté un geste de résistance. Le 24 mars (Hébert et 21 partisans guillotinés) sonna le glas de la démocratie populaire.

    La bourgeoisie écrasa, à travers l’hébertisme, l’embryon de la démocratie populaire qui, tout au long de la Révolution, l’avait fait trembler.

    Couthon, avec sa mauvaise foi coutumière, prononça : « Quarante-huit sociétés populaires dans Paris formaient le spectacle hideux du fédéralisme ; il est temps qu’il disparaisse de nos yeux. »

    La Commune de Paris, depuis longtemps, portait ombrage au pouvoir central. A travers les hébertistes, c’était la Commune qui était visée.

    Ainsi se termina le règne des plébéiens au ministère de la Guerre. Ainsi furent liquidés les hommes qui avaient réalisé l’œuvre peut-être la plus importante de la Révolution : la sans-cullotisation de l’armée.

    Les hébertistes furent éliminés essentiellement parce qu’ils étaient devenus un obstacle à la réalisation des desseins de la bourgeoisie révolutionnaire.

    Pendant quelques mois, le Montagne avait tendu un os à ronger aux sans-culottes. Ayant besoin d’eux pour vaincre la contre-révolution intérieure, et surtout, l’ennemi extérieur, elle leur avait fait un certain nombre de concessions ; elle avait tenté, dans une certaine mesure, d’atténuer les effets de l’inflation et de la vie chère ; elle avait agi, simultanément, sur la monnaie et sur les prix. L’heure du péril extrême était passée. Elle n’avait plus autant besoin des bras nus. Elle jugea le moment venu de commencer à leur reprendre ce qu’elle leur avait concédé.

    Par eux-mêmes, les hébertistes ne constituaient pas un obstacle sérieux. L’obstacle véritable, c’était l’avant-garde populaire.

    La liquidation des hébertistes laissa le mouvement des masses démoralisé, désarticulé, décapité, incapable d’opposer une résistance quelconque aux entreprises de l’adversaire.

    La chute de l’hébertisme créa les conditions permettant l’abandon progressif de la taxation et de la contrainte, le retour progressif au libéralisme économique.

    De plus en plus ouvertement la Terreur, détournée de son objet primitif, devenait une arme anti-ouvrière.

    Le journal Le Messager du soir raconta que, tandis que les municipaux robespierristes étaient conduits à la place de la Révolution pour y être guillotinés, les ouvriers leur témoignaient « un peu d’humeur », en les appelant plaisamment : « foutu maximum ».

    Sur la charrette qui l’emmène à la guillotine, Robespierre est insulté par des gens qui lui reprochent d’avoir institué la loi du maximum des salaires.

     

    2)    Les sans culottes

    Jacques Roux, Théophile Leclerc, Jean Varlet. Les représentants principaux du mouvement révolutionnaire populaire.

     

    L’hostilité à l’ancien régime s’affiche par un vêtement : le sans-culotte s’impose sur le pavé parisien avant d’être chassé en Thermidor par le muscadin, réhabilitant l’élégance et le parfum, rétablissant une différence visible entre le pauvre et le riche.

     

    En 1789 et 1790, révolutionnaires et contre-révolutionnaires rêvent de régénérer le royaume.

     

    Selon Gabriel Sénac de Meilhan (1736-1803), auteur « Des Principes  et des causes de la Révolution en France », l’ancien régime est un « ordre de choses qui a longtemps duré ». Une même question hante tous ceux qui regrettent cet ordre ancien. Comment une tradition millénaire a-t-elle pu disparaître en quelques séances de l’Assemblée nationale ?

    « Dans six mois, dix siècles de respect et d’amour ont été effacés de la mémoire des cœurs », écrit Sénac à l’abbé Sabatier de Castres en 1792 et il reprend dans l’Emigré : « Je ne puis concevoir comment dans un si court espace des souvenirs gravés par la main des temps, pendant douze siècles, ont été effacés. ».

    La plupart des témoins effarés de cet effacement cherchent une explication extérieure. Si le système était bon, sa disparition provient de causes externes.

    En 1789, l’abbé Barruel écrit « Le Patriote véridique ou discours sur les vraies causes de la Révolution actuelle ». Le Comte Ferrand publie « Les Conspirateurs démasqués. ». L’abbé Jabineau écrit : « La vraie conspiration dévoilée ». Selon ces différents auteurs, développant la thèse du complot, les auteurs de la Révolution seraient : la franc-maçonnerie, les philosophes, les jésuites, les protestants, le duc d’Orléans,…

    Selon Sénac de Meilhan, à propos de la Fronde : « Les plus soudaines révolutions ont presque toujours des causes éloignées, et lorsqu’une légère circonstance amène un prompt renversement d’un Etat, c’est que tout était depuis longtemps préparé pour une révolution. »

    Montesquieu, dans Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence (1734) : « Si le hasard d’une bataille, c’est-à-dire, une cause particulière, a ruiné un Etat, il y avait une cause générale qui faisait que cet Etat devait périr par une bataille. »

     

    Il y a une différence entre les Jacobins (dont Robespierre) et les enragés. L’idéal des enragés n’est pas une société où richesse et pauvreté – avec moins d’écarts – s’équilibreraient harmonieusement. Ils ont bien senti que la richesse, en soi, était contre-révolutionnaire par les pouvoirs économiques et politiques qu’elle réservait à une minorité. Ce qu’ils souhaitent – mais il faut se sortir d’abord de la guerre, de la famine latente – c’est un bien-être en progression.

    Il y a donc des antagonismes entre les « hommes d’Etat », qui avaient à établir les armes à la main, la république bourgeoise, et les enragés qui, alors même que la république bourgeoise n’était pas assurée, tendaient vers une république populaire, sans avoir les moyens, eux, de faire de ce peuple – en immense majorité paysan – la classe dominante. Et ceci, en grande partie, à cause de la puissance de l’Eglise, objectivement alliée à la bourgeoisie possédante.

    Dès avant l’ouverture des Etats généraux, de nombreux auteurs opposent le riche et le pauvre tiers-états et estiment à l’approche des élections, en ce début de 1789, que les pauvres ne seront représentés que par des gens qui sont en opposition d’intérêt avec eux. Ce qui sera effectivement le cas.

    Exemple : le Chevalier de Moret, dans une lettre adressée à Necker en 1789 : « Cette classe du Tiers-Etat de la ville de Paris, dont les individus paient au-dessous de six livres de capitation… la dite-classe est sans contredit la plus nombreuse de la capitale, la plus utile et la plus précieuse à l’Etat. C’est elle en un mot, qui convertissant en or les matières les plus abjectes, est l’âme du commerce, donne l’existence et enrichit l’autre classe du Tiers-Etat. »

    Les enragés, Jacques Roux, Théophile Leclerc, Jean Varlet furent en 1793, les interprètes directs et authentiques du mouvement des masses. Pour Karl Marx, ils furent « les représentants principaux du mouvement révolutionnaire ».

    Saint-Just : « Les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. »

    Avec Gracchus Babeuf, tous quatre présentent un certain nombre de points communs. Ils avaient fait de bonnes études. Jacques Roux appartenait à une famille aisée. Il était fils d’un officier devenu magistrat. S’étant fait prêtre, il avait enseigné la philosophie et la physique expérimentale dans divers séminaires, pour exercer ensuite la fonction d’aumônier dans un château. Leclerc, fils d’un ingénieur des Ponts et Chaussées, avait reçu une certaine instruction. Varlet, commis des postes, appartenait également à une « bonne famille ». Il possédait un revenu annuel de 5800 livres et avait été un brillant élève du collège d’Harcourt. Babeuf, fils d’un officier, et lui-même arpenteur-géomètre et spécialiste du droit féodal, était fort instruit.

    Ils entrevirent que la guerre – la guerre bourgeoise, la guerre pour la suprématie commerciale – aggravent la condition des bras nus ; ils aperçurent la grande escroquerie de l’inflation, source de profils inouïs pour le riche, ruineuse pour le pauvre.

    Jacques Roux, le 25 juin 1793 : « La liberté n’est qu’un vain fantôme, quand une classe d’hommes peut affamer l’autre impunément. L’égalité n’est qu’un vain fantôme, quand le riche, par le monopole, exerce le droit de vie et de mort sur son semblable. La république n’est qu’un vain fantôme, quand la contre-révolution s’opère de jour en jour par le prix des denrées auquel les trois quarts des citoyens ne peuvent atteindre sans verser des larmes. […]. Les riches […], depuis quatre ans, ont profité des avantages de la révolution. L’aristocratie marchande, plus terrible que l’aristocratie nobiliaire et sacerdotale, s’est fait un jeu cruel d’envahir les fortunes individuelles et les trésors de la république. […]. ». « Les biens du clergé et les domaines nationaux ont presque tous passé dans les mains de personnes enrichies du sang de la veuve et de l’orphelin. »

    Ne pouvant sortir du cadre de la propriété privée, les enragés se contentèrent de réclamer des mesures destinées à limiter, et non à supprimer, les effets du système capitaliste alors naissant.

    Société des Amis de la Liberté et de l’Egalité – Séance du 5 aout 1793 – Contre Jacques Roux et Leclerc.

    Revenant sur la proposition de Danton à la Convention, le 1° août, d’ériger le Comité de salut public en gouvernement provisoire, Vincent, secrétaire général du ministère de la guerre, la considère « comme attentatoire à la souveraineté du peuple, comme émanée de conspirateurs ». La vivacité de ces attaques amena une riposte immédiate de Robespierre. Délaissant Vincent, dont il sait la forte position au ministère de la guerre, mais l’audience bien moindre auprès des sans-culottes, Robespierre attaque Jacques Roux et Leclerc, adversaires plus redoutables par le rayonnement de leurs journaux dans les sections et dont les attaques systématiques contre la politique gouvernementale risquaient d’entraîner la sans-culotterie.

    Leclerc répliqua le 8 août, dans son Ami du peuple, en dénonçant le « système de calomnie dirigé contre les vrais amis de la liberté ». Dans son numéro suivant, il mettait Robespierre au défi de prouver ses accusations. Quant à Jacques Roux, il ne daigna pas répondre et poursuivit avec une vigueur accrue sa campagne contre les agioteurs et les accapareurs.

    Robespierre : « …Ces deux hommes, dénoncés par Marat, comme des intrigants, deux émissaires de Cobourg ou de Pitt qui, pour mieux empoisonner les sources de la crédulité populaire, ont pris, pour séduire le nom de Marat. ».

     

    3)    Gracchus Babeuf et le communisme primitif :

    « La révolution française n’est que l’avant-courrière d’une autre révolution, bien plus grande, bien plus solennelle et qui sera la dernière. » (Manifeste des Egaux, 1796).

    La période de la chute des Girondins (31 mai 1793) à l’exécution de Babeuf (27 mai 1797) : c’est au cours de cette période que la lutte de classes entre bourgeois et sans-culottes, première manifestation de la lutte de classes modernes entre bourgeois et prolétaires, fait son apparition.

    Babeuf représente les paysans pauvres. Or, la paysannerie pauvre avait sur la question de la propriété une position plus hardie que la sans-culotterie urbaine.

    Babeuf : « Réveiller Robespierre… c’est réveiller tous les patriotes énergiques de la République et avec eux le peuple qui autrefois n’écoutait et ne suivait qu’eux… Le robespierrisme est la démocratie, et ces deux morts sont parfaitement identiques ; donc en relevant le robespierrisme vous êtes sûr de relever la démocratie.

    Babeuf : « La révolution n’est pas finie, parce que les riches absorbent tous les biens et commandent exclusivement, tandis que les pauvres travaillent en véritables esclaves, languissent dans la misère et ne sont rien dans l’Etat. »

    La cause de l’échec de la Révolution, on la trouvait « en dernière analyse, écrit Buonarroti, dans la propriété individuelle, par laquelle les plus adroits ou les plus heureux dépouillèrent sans cesse la multitude. »

    Babeuf : « Les gouvernants ne font des révolutions que pour toujours gouverner. Nous en voulons faire enfin une pour assurer à jamais le bonheur du peuple par la vraie démocratie. »

    Solutions : les Egaux supprimaient le parlement bourgeois et confiaient tout le pouvoir à la Commune insurrectionnelle de Paris. Constitution de 1793 : « Un des plus impérieux devoirs de l’instituteur d’une république […] est de […] donner au peuple la possibilité d’être réellement souverain. »

    Pas de démocratie vraie sans suppression des inégalités sociales, c’est-à-dire sans communisme.

    Selon Marx, « les représentants principaux du mouvement révolutionnaire » sont Jacques Roux, Leclerc,…

    A la Constitution de 1793, qui donnait trop de droits au peuple, la bourgeoisie révolutionnaire a substitué le gouvernement révolutionnaire, une dictature qui, en principe, ne devait servie qu’à mater la contre-révolution, mais qui, en fait, se montre souvent moins énergique à l’égard des contre-révolutionnaires qu’à l’égard de l’avant-garde populaire.

    Les classes possédantes ne renonceront pas volontairement à leurs privilèges et il faudra les y contraindre.

    La décapitation de la Commune de Paris, la destruction de la démocratie par en bas portaient un coup fatal à la Révolution.

    La Révolution française est une guerre déclarée entre les politiciens et les plébéiens, entre les riches et les pauvres.

    Tout ce que possèdent ceux qui ont au-delà de leur quote-part individuelle de ces biens de la société est vol et usurpation, il est donc juste de leur reprendre.

    Dolivier, curé de Mauchamp, en 1790, voulait conférer la propriété du sol à la communauté : « La terre doit être considérée comme le grand communal de la nature. […] Les nations seules et, par sous-division, les communes, sont véritablement propriétaires de leur terrain. » A chaque individu serait reconnu « son droit de partage au grand communal », mais il ne cultiverait la terre qu’en possession viagère, la propriété du sol restant entre les mains de la communauté ». Babeuf fit sienne cette conception. La loi agraire, telle qu’il la comprenait, « cette loi que redoutent et sentent bien venir les riches », cette loi dans laquelle il voyait « le corollaire de toutes les lois », combinait le partage des terres avec la propriété commune de la terre et son inaliénabilité : collective, la propriété du sol, individuelle son exploitation.

    En 1789, le tiers-état, l’emportant sur l’aristocratie, abolit les privilèges et l’autorité seigneuriale : la déclaration des droits de l’homme et du citoyen proclame que, désormais, tous les Français étaient égaux devant la loi. Mais ceux qui, bientôt prirent le nom de sans-culotte, ne tardèrent pas à constater que l’ordre nouveau, conservant l’inégale répartition des richesses et procurant ainsi à la bourgeoisie la maîtrise politique et économique, ne les délivrait pas de l’assujettissement. Dans ce conflit de classe, Buonarroti et Babeuf embrassèrent la cause populaire.

    Toutefois, aux prises avec les contre-révolutionnaires alliés à l’étranger, une partie de la bourgeoisie, Montagnards et Jacobins, eurent recours aux sans-culottes pour s’emparer du pouvoir, en sorte que la politique du gouvernement révolutionnaire qu’ils formèrent répondit dans une certaine mesure aux vœux de leurs alliés. Sans oublier de rappeler que le Comité de Salut public asura la victoire de la révolution, c’est sur la portée sociale de son œuvre que Buonarroti fixe son attention : non sans raison, il en attribue le mérite à Robespierre et à Saint-Just, et ainsi estime-t-il que le 9 Thermidor interrompit l’évolution démocratique de la république. Sa vénération pour la mémoire de l’Incorruptible est telle que dans ses écrits, il incite à imaginer que les robespierristes furent des communistes avant la lettre, mais il laisse ignorer qu’ils s’associèrent à leurs collègues pour proscrire les enragés et les chefs populaires qu’on a coutume d’appeler hébertistes, en quoi ils contribuèrent en partie à leur propre perte.

    Entre Robespierre et Babeuf, il y a à la fois filiation, mais aussi dépassement.

    Les robespierristes, et d’autres révolutionnaires avant eux, avaient rêvé de multiplier les propriétaires, parce qu’à leurs yeux la propriété garantissait la liberté de l’individu, comme aussi d’ailleurs la paix sociale et la tranquillité de la bourgeoisie. Depuis le 9 Thermidor, Buonarroti et Babeuf estimaient l’échec patent ; au surplus, accroître le nombre des propriétaires ne constituait qu’un palliatif : l’inégalité sociale résultait de l’appropriation individuelle et héréditaire des moyens de production ; le mal, plus profond, ne comportait d’autre remède que leur attribution à la communauté.

    En tant que théoriciens, il s’en faut qu’ils fussent les premiers à la prôner. Au XVIII° siècle, Rousseau, Morelly, Mably, entre autres, en firent l’éloge et on leur découvre des prédécesseurs jusque dans l’antiquité.

    Depuis 1789, la bourgeoisie redoutait la « loi agraire », expression empruntée à l’histoire romaine au cours de laquelle on partagea plusieurs fois, entre les citoyens et les citoyens pauvres, les terres que la conquête et les confiscations laissaient à la disposition de la république ; bien différente était la loi agraire qu’on dénonçait maintenant : elle aurait partagé les propriétés privées entre tous les citoyens. La Convention avait prononcé la peine capitale contre ceux qui la prêcheraient ; jusqu’en 1848, et plus tard, les socialistes se sont vus de ce chef affublés du surnom de « partageux ».

    Sylvain Maréchal, dans un livre intitulé L’Homme sans Dieu : « Je n’aime pas les rois mais j’aime encore moins les riches… Vous décrétez l’abolition de la noblesse, mais vous conservez l’état respectif des pauvres et des riches, des maîtres et des valets ; vous défendez aux premiers les armoiries, vous déchargez les seconds de leurs livrées mais ces distinctions ne sont que des simulacres, vous ne touchez pas aux réalités… ».

     

    B)   POURQUOI LA CHUTE DE ROBESPIERRE ?

     

    La symphonie continue, après l’élimination d’une fausse note.

     

     

    Mort de Danton : Robespierre fut, en cette occasion, comme en tant d’autres, le porte-parole, l’agent d’exécution de la bourgeoisie révolutionnaire.

    Les hommes des Comités, d’accord avec Robespierre sur le but général à atteindre, ne l’étaient pas avec lui sur les moyens. Robespierre voulait asseoir sa tentative de stabilisation sur deux piliers : d’une part, la restauration officielle de la religion, l’institution d’un culte d’Etat ; d’autre part, la recherche du compromis « honorable » avec l’ennemi du dehors.

    La bourgeoise révolutionnaire voulait elle aussi rétablir l’ordre, mais par d’autres moyens. Elle ne fut d’accord avec Robespierre ni sur le culte de l’Etre suprême, ni sur la conduite de la guerre.

    Le culte de l’Etre suprême rassurait l’Europe. Il était tourné à la fois contre les prêtres, contre l’Eglise et contre les déchristianisateurs.

    Le culte de l’Etre suprême préfigure le Concordat de Napoléon Bonaparte.

     

    Dans la Convention, les Montagnards robespierristes détiennent désormais tous les pouvoirs.

    L’élan révolutionnaire est désormais contrôlé par le Comité de salut public, qui rappelle les représentants en mission trop indépendants, encadre les sections sans-culottes, supprime les tribunaux révolutionnaires extraordinaires des armées au profit du Tribunal de Paris.

    Les sans-culottes sont associés au pouvoir, mais leurs exigences de contrôle des salaires et des prix sont abandonnées. La vision politique d’une Révolution morale, exigeante, utopique tente de s’imposer. Le décret du 7 mai 1794, qui stipule l’existence d’un Etre suprême, pour lequel une fête est instaurée, et l’immortalité de l’âme, en est l’exemple le plus éclatant. L’athéisme et la vague antireligieuse doivent faire place à une pédagogie civique.

    L’école propose aux enfants des faits d’arme les plus récents, et les patriotes héroïques comme Joseph Agricol Viala – célébré par Chénier dans le Chant du départ – remplaçant les « martyrs de la Révolution » -- Marat, Chalier, Le Peletier – glorifiés par les sans-culottes.

    L’idéal d’une organisation collective régie par l’égalité et la vertu est au cœur d’innombrables discours, qui touchent tous les domaines de la vie nationale.

    Robespierre, entouré de Saint-Just et de Couthon, exerce véritablement le magistère national, même si d’autres personnalités, compétentes dans certains domaines (comme Carnot à la guerre), jouent un rôle important dans le Comité de salut public.

    Dans cette révolution dans la Révolution, la tentation de la dictature est grande, pour établir par la violence le bonheur collectif à venir.

    La Grande Terreur est instaurée par la loi du 22 prairial an II (10 juin 1794). Les coupables de « défaitisme et de dilapidation », qui sont appelés « ennemis du peuple », sont désormais justiciables du Tribunal révolutionnaire. Edictée à la suite de tentatives d’assassinat sur des membres du Comité de salut, dont Robespierre, cette loi témoigne avant tout d’une volonté moraliste radicale.

    Mais les rivalités internes aux groupes dirigeants ne cessent de croître. Les membres du Comité de sûreté générale, qui cherchent à rogner les attributions de leurs collègues – et rivaux – du Comité de salut public, trouvent de nouvelles raisons de s’opposer à Robespierre, en particulier lorsque celui-ci préside la fête de l’Etre suprême (8 juin 1794), cérémonie grandiose dans laquelle beaucoup de révolutionnaires voient un retour à une religion d’Etat. Le courant hostile se développe d’une manière diffuse dans la Convention et les Comités de gouvernement.

    Au cours de l’été 1794, des rumeurs prêtent des intentions monarchiques à Robespierre ; elles insistent sur sa volonté de restaurer la religion et sur sa complicité avec une illuminée, Catherine Théot, qui se proclame « mère de Dieu ». Son absence temporaire de la Convention, en juillet – fatigue, écœurement ? --, si elle renforce les craintes des députés, qui redoutent d’être victimes de la Terreur, permet les manœuvres politiciennes des opposants, qui s’entendent pour faire chuter « l’Incorruptible ». Le 8 thermidor an II (26 juillet), dans un grand discours programmatique, Robespierre, revenant à la Convention, annonce de nouvelles mesures répressives contre des « conspirateurs », qu’il ne nomme pas. Le lendemain, 9 thermidor, les députés mettent Robespierre en minorité, décrètent son arrestation et celle de ses amis. Arrêté, puis libéré, Robespierre est repris et exécuté avec ses partisans le 10 thermidor (28 juillet 1794).

     

    Le 9 Thermidor (27 juillet 1794), Robespierre fut renversé et ce jour inaugure une période de réaction qui débouche sur le premier Empire.

    Il convient d’observer le 9 Thermidor dans la suite des diverses ruptures ou péripéties qui ont précédé ou suivi : Girondins, Brissotins, Hébertistes, Dantonistes, …Après les Robespierristes, les Babouvistes ?...

    Le mot du conventionnel Baudot dans ses Notes historiques : « Dans la lutte du 9 thermidor, il ne fut pas question de principes, mais de tuer. La mort de Robespierre était devenue une nécessité. En cas de succès de son côté, je suis persuadé qu’il aurait peu tardé à être mis à mort au milieu des conflits d’une guerre civile. »

    Pourtant la mort de Robespierre est un tournant majeur de la séquence révolutionnaire.

    Le 9 thermidor ne signe ni la fin de la Montagne, ni celle du gouvernement révolutionnaire : un an encore, la révolution continue, avant de s’achever par une stabilisation qui renie en partie 1789 lorsque la convention, effrayée par la puissance des mots, gomme de sa déclaration des droits et des devoirs toute référence aux « droits naturels et imprescriptibles de l’homme. »

    L’ancien conventionnel Levasseur (de la Sarthe) s’exprime ainsi dans ses Mémoires, trente-cinq ans après les événements : « La révolution perdit la vigueur de la jeunesse. Affaiblie par ses dissensions, la Montagne n’avait plus une majorité bien forte dans le sein de la Convention et encore cette majorité était-elle fractionnée en un grand nombre d’opinions qui toutes avaient à pleurer des victimes (…). Le gouvernement révolutionnaire (…) n’était fort qu’à cause des haines qui séparaient sans retour les amis de Danton des anciens partisans d’Hébert, et la Montagne des débris de la Gironde. »

    L’attaque de thermidor vient des rangs de la Montagne, « gauche » de la première assemblée élue au suffrage universel.

    Le 11 messidor une querelle survient au comité de salut public. Lorsque Levasseur (de la Sarthe) témoigne en fructidor en faveur des membres des comités contre Le Cointre, il déclare : « Je fus au comité de salut public, j’y fus témoin que ceux qu’on accuse aujourd’hui traitèrent Robespierre de dictateur. Robespierre se mit dans une fureur incroyable ; les autres membres du comité le regardèrent avec mépris. Saint-Just sortit avec lui. » Robespierre porta la contre-attaque aux Jacobins, le 13 messidor (1° juillet).

    Les hostilités étaient donc ouvertes au comité de salut public et Robespierre attisait le feu en cessant de paraître aux séances. Le 8 thermidor, il déclare : « Depuis plus de six semaines, la nature et la force de la calomnie, l’impuissance de faire le bien et d’arrêter le mal, m’ont forcé à abandonner absolument mes fonctions de membre du comité de salut public. »

    Une difficulté pour comprendre la dernière séance de la convention à laquelle participe Robespierre, est que le Procès-Verbal officiel a été rédigé, non pas en l’an II, mais plus d’un an plus tard, en exécution d’une loi de brumaire an IV (octobre 1795).

    Le déroulement des faits : Une coalition se forme contre Robespierre :

    ·    Lors de la séance du 7 thermidor, Barère présente un Rapport « tendant à éclairer les bons citoyens sur les circonstances actuelles, en présentant au peuple français un état comparatif de notre situation à l’époque du 31 mai 1793, et de notre situation le 7 thermidor ».

    ·    Le 8 thermidor, Robespierre entame son long discours « testament » par : « Que d’autres vous tracent des tableaux flatteurs ; je viens vous dire des vérités utiles. (…) On vous parle beaucoup de vos victoires avec une légèreté académique. » La conclusion revêt un caractère suicidaire : « Il existe une conspiration contre la liberté publique », une « coalition qui intrigue au sein même de la Convention », elle est dans le comité de sûreté générale, et « des membres du comité de salut public entrent dans ce complot ». « Quel est le remède à ce mal ? Punir les traîtres, renouveler les bureaux du comité de sûreté générale, épurer ce comité lui-même, et le subordonner au comité de salut public, épurer le comité de salut public lui-même, constituer l’unité du gouvernement sous l’autorité suprême de la convention nationale qui est le centre et le juge ».

    ·    La crise est engagée. Les accusés accusent le dénonciateur. Ainsi Cambon : « Il est temps de dire la vérité tout entière : un seul homme paralysait la volonté de la convention nationale ; cet homme est celui qui vient de faire le discours, c’est Robespierre ; ainsi jugez. »

    ·    La séance du club des Jacobins, le 8 au soir rompt les fils entre Robespierre et Couthon, d’une part, Billot-Varenne et Collot d’Herbois, d’autre part. Robespierre fait lecture de son discours prononcé à la convention dans l’après-midi ; il est accueilli par les applaudissements des tribunes. Puis il déclare : « Frères et amis, c’est mon testament de mort que vous venez d’entendre. (…) Héros du 31 mai, et toi surtout brave Hanriot, avez-vous oublié le chemin de la convention ? (…) Si vous m’abandonnez, vous verrez avec quel calme je sais boire la ciguë. »

    ·    Le 9 thermidor, an II (dimanche 27 juillet 1794), midi : Saint-Just commence le discours qui sera imprimé le 30 thermidor (17 août 1794). Il est interrompu par Tallien, puis Billaud. Robespierre s’élance à la tribune mais ce cri retentit : « A bas le tyran ! ».  Vers deux heures, Louis Louchet, député montagnard de l’Aveyron, propose enfin l’arrestation.

    ·    Le mouvement insurrectionnel de la Commune de Paris échoue.

    Dans les jours suivants, on amalgame robespierrisme, terrorisme et Robespierre-roi.

    La première république est la lutte de la bourgeoisie et du peuple contre la noblesse. L’Empire est le sacrifice du peuple armé au dehors et la domination de la bourgeoisie au-dedans. La Restauration est la tentative de restauration nobiliaire sous les Bourbons de la branche aînée. 1830 est le triomphe et le règne de la bourgeoisie.

    L’une des raisons de la chute de Robespierre est, par exemple, le Cercle social, organisation fondée pendant les premières années de la révolution de 1789, de 1790 à l’an VIII qui a compté près de 8000 membres. Un des principaux idéologues du Cercle social fur Claude Fauchet qui demandait que la terre fut distribuée en parcelles égales, que la grande propriété fut limitée et que tous les bourgeois fussent mis au travail. Un des chefs du mouvement des enragés, Jacques Roux, alla beaucoup plus loin encore.

    Les milliers d’auditeurs de l’abbé Fauchet, orateur du club radical du Cercle social, apprenaient de lui que tout homme avait droit, pour vivre, à la propriété de la terre.

    Eté 1794 : le règne de la Terreur était arrivé et n’importe qui en France pouvait être arrêté la nuit, jugé à midi et guillotiné à quatre heures, sans même avoir pu ouvrir la bouche. Les députés n’osaient plus coucher dans leur lit ; se glissaient dans les immeubles à deux étages, pour dépister les espions. Barras, dans ses Mémoires, raconte qu’un député, ivre de fatigue, se tenait à sa place, le front appuyé sur sa main. Soudain, on le voit bondir sur son siège, comme piqué par un scorpion. Simplement parce que Robespierre l’a dévisagé. Tremblant, décomposé, il se tourne vers un de ses collègues et balbutie : « Il va se figurer que je pense à quelque chose ! ».

    La victoire de Fleurus, le 26 juin, rendait la Terreur moins indispensable comme moyen gouvernemental d’exception.

    Robespierre songe à épurer quelques députés, dont Fouché, qu’il fit chasser des jacobins, et qui commença à conspirer contre lui.

    La Plaine, en échange de son appui, demande la fin de la politique de répression.

    Des divisions étaient intervenues au sein de l’équipe dirigeante, division au sein du Comité de salut public entre :

    ·    Les administratifs : Lindet, Carnot, Prieur de la Côte d’Or ;

    ·    Les idéologues : Robespierre, Couthon, Saint-Just.

    La dictature jacobine était devenue largement indépendante du mouvement populaire qui avait contribué à son établissement.

    Pendant une certaine période, de 1789 à novembre 1793, Robespierre a su jouer un rôle de médiateur entre bourgeois et bras nus, qui l’a porté et en a fait une personnalité de pointe de la révolution française.

    Mais quand il a fallu choisir son camp, il a rompu avec les enragés et les sans-culottes, se tournant contre les intérêts de ceux-ci. Il n’avait donc plus le soutien de cette partie du tiers-état.

    Cependant, il allait trop loin par rapport aux intérêts immédiats de la classe bourgeoise, et son rôle antérieur inspirait la peur à beaucoup. En conséquence, il avait joué son rôle historique, et la bourgeoisie n’avait plus besoin de lui. Il pouvait donc disparaître, assumant les excès de la Terreur.

    Aujourd’hui, la bourgeoisie règle les antagonismes en son sein, de manière pacifique, en ayant recours à la voie parlementaire et aux élections, pour choisir la fraction chargée temporairement de défendre ses intérêts au gouvernement.

    Pendant la révolution, ce choix était fait en ayant recours à la guillotine !

    Contre Jean-Jacques Rousseau qui la tenait pour nécessaire, Robespierre a combattu la peine de mort en matière pénale. A l’opposé des théoriciens de la démocratie politique qui la jugeait irréalisable dans un grand Etat, il a admis la possibilité d’une démocratie (en partie) représentative.

    Hostile à la loi agraire des partageux, il n’hésita pas cependant à désacraliser la propriété privée au profit d’un solidarisme social, aussi éloigné de l’utopie communautariste d’un Morelly que du dogme libéral des Girondins, lequel faisait la part belle aux riches et aux puissants. Selon le mot de Jaurès, la révolution était indissociablement bourgeoise et populaire.

    L’après 9 thermidor :

    C’est d’abord l’élaboration du discours officiel. Dès le 9 thermidor, Collot d’Herbois donne le ton : « Voyez, citoyens, les hordes fugitives de vos ennemis, voyez leurs armées consternées se répandre au loin ; leur dernière ressource était la guerre civile au sein de la convention, afin de nous forcer d’accepter un tyran. Mais tous les Français périront avant de transiger avec la tyrannie. Jamais, non, jamais le peuple français n’aura de tyran. » Collot dévoile ainsi un ultime « complot de l’étranger » dont la convention, une fois encore appuyée sur le peuple français, doit triompher.

    Il revient ensuite à Barère d’en parachever la version en deux Rapports : Le 10 thermidor, avant même l’exécution des 22 condamnés, Barère livre, au nom des comités de salut public et de sûreté générale, un « rapport relatif aux détails de la conspiration de Robespierre et de ses complices ».  Barère reproduit la fable du sceau à fleur de lys trouvé à la Maison-Commune et celle de la visite au Temple. Il reprend l’accusation lancée contre Danton : le nouveau tyran voulait s’ériger en « dominateur de l’opinion publique », en idole.

    Va se répandre la fable de Robespierre-roi : Robespierre voulait régner et, pourquoi ne pas épouser « la fille Capet ». De ces textes qui véhiculent la fable dans les départements, on peut retenir :

    ·         La Relation de l’événement par le conventionnel Roux (de la Marne) ;

    ·         Les Faits recueillis aux derniers instants de Robespierre et de sa faction où se retrouvent les quolibets lancés dans l’anti-salle du comité de salut public : « Sire, votre Majesté souffre », « Ne v’là-t-il pas un beau roi ? », etc. ;

    ·         Le parallèle Capet et Robespierre rédigé par Merlin (de Thionville) ;

    ·         Sans compter les Vies secrètes qui se multiplient alors.

     

    Le prestige de Robespierre avait été tel que pour le détruire, il fallait jeter sur sa mémoire beaucoup de boue.

     

    Après le 9 Thermidor, un ministre prussien à Cologne, dira dans une dépêche à son souverain :

    « Je reçois à l’instant la nouvelle de la chute et de l’arrestation de Robespierre et de ses principaux partisans. […] La principale accusation portée contre lui est d’avoir entrepris des pourparlers secrets avec une des puissances belligérantes en vue de la conclusion de la paix. »

     

    Saint-Just : « Je demande qu’il {Robespierre] soit investi de la dictature, et que les deux Comités réunis en fassent dès demain la proposition à la Convention. »

    Prieur : « Saint-Just proposa aux Comités de faire gouverner la France par des réputations patriotiques en attendant qu’il y eût des institutions républicaines. »

     

    Saint-Just dans « Fragments d’Institutions républicaines » :

    « Il faut dans toute Révolution un dictateur pour sauver l’Etat par la force, ou des censeurs pour le sauver par la vertu. »

     

    La responsabilité de la liquidation d’Hébert et de Danton, les Carnot, les Barere, les Cambon la portaient tout autant que Robespierre. Mais ils réussirent à exploiter contre lui seul les rancœurs des survivants des deux factions.

    Autres ennemis de Robespierre : Les représentants en mission comme Tallien (dantoniste, vénal), Carrier, Javogues (Hébertistes, coupables d’ « excès »), Fouché (hébertiste, puis modérantiste).

     

    Robespierre a engagé la bataille sur le seul plan parlementaire. Il tempéra l’ardeur de ses partisans, les détournant de l’action de rue. Robespierre est légaliste. Il croit à la fiction de la Convention souveraine. Il a toujours enseigné le respect de la Convention, seule expression de la souveraineté populaire.

    Etre mis hors la loi, c’était la fin de tout pour ces hommes qui toujours avaient prêché la soumission à la loi, habitué leurs partisans à leur obéir. Si définitivement la loi les rejetait, si la sacro-sainte Convention les reniait, ils n’étaient plus rien.

     

    Facteurs objectifs : la bourgeoisie ne voulait plus de Robespierre, les faubourgs n’étaient plus disposés à soutenir Robespierre, Robespierre ne voulait plus s’appuyer sur les faubourgs.

     

    Les sans-culottes ne marchent pas. Quoi ! Prendre les armes pour sauver l’homme qui avait désarmé la Révolution, l’hébertisme, domestiqué la Commune, dispersé les sociétés populaires des sections ? Se battre pour l’homme sous le règne duquel le maximum avait été « assoupli », la vie rendue plus chère, la hausse des salaires ouvriers contenue, les grèves brutalement réprimées !

     

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