• RECIT DU CHEMINEMENT DE PIERRE QUADER QUI A AIME, TRAVAILLE ET PRIE POUR NE PLUS RENAITRE (Yogas du karma, de bakhti et de jnana – action, dévotion et connaissance). (Partie 6)

    Une tradition solidement chevillée dans les esprits recommandait que l'on se marie avec un membre du village ou des environs immédiats, mais quelquefois un familier transplantait ses pénates ailleurs : lorsque cette personne dénotait – ou feignait – une situation confortable et brillante, de retour au village natal, elle pavoisait la tête haute. Mais si par malheur elle était dotée d'un niveau de vie jugé insignifiant pour excuser sa désertion, sujet à l'opprobre et à la réprobation unanime, victime des cancans elle ne réapparaissait bientôt plus, supprimant même de ses nouvelles. Ma soeur ayant fiancé un bon parti, un fonctionnaire des chemins de fer de Metz, s'exhibait au village, juste avant la seconde guerre mondiale, dans une calèche traînée par deux chevaux blancs, richement harnachés, elle-même la tête surmontée d'un chapeau orné de plumes de paon, ce qui avait grandement impressionné.

     

     

     

    RECIT DU CHEMINEMENT DE PIERRE QUADER

    QUI A AIME, TRAVAILLE ET PRIE POUR NE PLUS RENAITRE (Yogas du karma, de bakhti et de jnana – action, dévotion et connaissance). (Partie 6)

     

    Ditz Jacob

    Hôpital °°°

    THIONVILLE Moselle

    A

    Monsieur DITZ Clément

    56 rue principale

    CONTZ Moselle

     

    Thionville le 17 novembre 1955

     

    Mon fils,

    (°°°)

    Quant à la deuxième partie de ta lettre, elle m'a énormément chagriné et j'y répondrai plus longuement. Au fond tu as hâte de te débarrasser de moi, de t'arroger ma succession, de voler mon argent et de réussir à tout prix, quitte pour cela à piétiner mon cadavre, celui de ta mère et à dépouiller ta soeur. Tu m'assènes le coup de grâce. Je tâche de clarifier les idées que tu rumines. Il est loin le temps où le père assumait et contrôlait les affaires jusqu'à sa mort quel que soit l'âge de son fils, celui-ci persévérant dans l'obéissance. C'est la guerre qui a détruit et perverti la moralité des gens. En tout cas je m'en irais la conscience tranquille, convaincu que ce n'est pas moi qui t'ai inculqué ces principes.

    Pour te convertir à de meilleurs sentiments, démystifions un peu ce passé galvaudé dont tu te gausses facilement : que seraient toutes les nouveautés, l'utilisation de l'électricité, les moteurs adaptés à de nombreuses machines, les routes bitumées... sans le travail des générations qui précèdent ?

    Un village d'alors constituait à lui seul une unité pour ainsi dire biologique, un univers clos et enclavé. Les informations ne circulaient pas beaucoup. Pas de radio. Les journaux étaient rares, les livres encore plus ; on n'avait d'ailleurs pas beaucoup de temps à consacrer à la lecture. Je disposais en tout et pour tout de deux livres en langue allemande, l'un vulgarisant les découvertes en astronomie, illustré de quelques planches de la configuration du ciel et l'autre propageant et commentant la doctrine des « témoins de Jéhovah ». L'observation de la coupole céleste les nuits claires, en saisons mortes, s'était érigée en lubie : en me promenant, je décrivais et nommais les planètes et étoiles visibles à l'oeil nu, t'associant parfois ainsi que ta soeur à cette passion. Le second livre, une interprétation de la bible, prophétisait la fin de la terre et l'émergence de la « nouvelle Jérusalem » véritable paradis terrestre, monde de justice et de paix, à l'issue d'une ultime apocalypse. Ce conte m'enchantait : il y avait une image idyllique, un loup et un agneau réconciliés, paisibles et doux, côte à côte sans s'entre-dévorer, sous le regard émerveillé d'un homme auréolé d'une lumière étincelante. Décerné par un émule des témoins de Jéhovah, en mission au village dans les années 1930 en vue de rallier des « âmes », ce fut mon livre de chevet : lors de la seconde guerre mondiale, je pressentis même fermement que la prédiction qui y était contenue s'actualisait : « Quand les barbares et païens russes fouleront des sabots de leurs chevaux les rues de la nouvelle Babylone, Rome, des pluies de feu et de sang se précipiteront du ciel et ce sera la fin du monde et la naissance d'une ère nouvelle ». Je crus déchiffrer tout cela pêle-mêle dans l'avancée du rouleau compresseur soviétique contre Hitler et dans l'explosion des bombes atomiques à Hiroshima et Nagasaki : mon attente, déçue par l'issue de la guerre, je reléguais le livre au fond d'un tiroir à la critique rongeuse des souris. Ce livre effrayait ta mère chaque fois que je l'avais entre les mains et elle se promettait bien de le consumer par le feu à la première occasion si elle s'emparait de lui car elle prévoyait que sa lecture entraînait ma damnation perpétuelle, surtout que lors du passage du représentant des témoins de Jéhovah à Contz, le curé de la paroisse, au prêche du dimanche matin, haranguait ses ouailles, dénigrant de manière virulente toutes les factions qui conspirent contre la doctrine officielle de la mère Eglise et leur enjoignant de maintenir porte close devant cette engeance du diable qu'étaient les membres pécheurs de cette secte de Jéhovah, eux-mêmes étant voués aux flammes de l'enfer s'ils s'accointaient avec eux. Le seul livre que consultait ta mère était un missel à la couverture noire et aux pages jaunies qui lui avait été remis pour sa communion solennelle et qui renfermait l'essentiel de ce qui détermine la vie vertueuse d'une bonne chrétienne.

    Le village – monde autarcique d'autant plus que chaque famille engendrait ce dont elle avait besoin – rejetait tous les corps étrangers ; le conformisme y régnait, chacun se calquait sur tout le monde et tout le monde était immuablement catalogué depuis plusieurs générations. Mais fermé sur lui-même ne signifie pas imperméable à toutes les influences et quelques pores absorbaient l'air extérieur, enrayant l'asphyxie : le marché du bourg de Sierck-les-bains, une fois par mois, où l'on commerçait le bétail, la visite au notaire pour traiter les affaires importantes, tels les héritages, et surtout le départ des nouvelles classes au service militaire après un rituel qui mettait en émoi notre petite communauté, et la fête de la saint Hubert, patron du village, le premier dimanche de novembre, où l'on étrennait le vin nouveau et renouait avec les pays et les payses « émigrés » mariés avec un « étranger » ou une « étrangère ». Le facteur, le gendarme et le garde forestier remplissaient également cette fonction de tampon et de véhicule de l'information entre le monde extérieur et nous.

    Inversement, il y avait quelques entrées au village : une ou deux fois l'an des tziganes égayaient les enfants avec une roulotte trimbalée par deux chevaux, contenant une ménagerie d'animaux exotiques ou un manège, gitans auxquels on assignait un « don de Dieu » si on ne voulait pas se voir chaparder la nuit toute une rangée de laitues dans le jardin, ou quelques poules de la basse-cour. Ces gens du voyage étonnaient ta soeur et toi-même par leurs accoutrements bizarres et le goitre qui paraît le cou de la plupart de leurs vieilles femmes. Un juif errant, auquel on ne déférait pas d'âge défini, marchand ambulant de chevaux et de vaches, troquant des oeufs et des peaux de lapin aux paysans pour les revendre en ville, sillonnait à travers les villages de la région et colportait par là même bonnes et mauvaises nouvelles alentour.

    Une tradition solidement chevillée dans les esprits recommandait que l'on se marie avec un membre du village ou des environs immédiats, mais quelquefois un familier transplantait ses pénates ailleurs : lorsque cette personne dénotait – ou feignait – une situation confortable et brillante, de retour au village natal, elle pavoisait la tête haute. Mais si par malheur elle était dotée d'un niveau de vie jugé insignifiant pour excuser sa désertion, sujet à l'opprobre et à la réprobation unanime, victime des cancans elle ne réapparaissait bientôt plus, supprimant même de ses nouvelles. Ma soeur ayant fiancé un bon parti, un fonctionnaire des chemins de fer de Metz, s'exhibait au village, juste avant la seconde guerre mondiale, dans une calèche traînée par deux chevaux blancs, richement harnachés, elle-même la tête surmontée d'un chapeau orné de plumes de paon, ce qui avait grandement impressionné.

     

     

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