• RECIT DU CHEMINEMENT DE PIERRE QUADER QUI A AIME, TRAVAILLE ET PRIE POUR NE PLUS RENAITRE (Partie 40)

    Voici les bonnes actions et voici les mauvaises,

    Place-moi au-dessus d’elles, je ne les veux pas,

    Accorde-moi seulement d’avoir un PUR AMOUR.

     

    RECIT DU CHEMINEMENT DE PIERRE QUADER QUI A AIME, TRAVAILLE ET PRIE POUR NE PLUS RENAITRE (Partie 40)

     

    III

    Voici les bonnes actions et voici les mauvaises,

    Place-moi au-dessus d’elles, je ne les veux pas,

    Accorde-moi seulement d’avoir un PUR AMOUR.

     

    La cellule communiste.

    Réunion chez un ouvrier, en 1942.

    D’abord Guy seul. Il installe des chaises autour d’une table. On sonne. Entre Denis.

     

    Denis : Bonjour camarade !

    Guy : Salut ! Comment ça va ?

    Denis : (air préoccupé) Il est difficile de savoir ce qui se passe exactement sur le terrain, depuis que Staline et les Russes sont entrés en guerre. La partie est loin d’être gagnée à Stalingrad. Depuis Montoire, les Vichystes sont entrés en pleine collaboration avec Hitler.

    Guy : Mais plus près de nous, que penses-tu de la situation dans la boîte ?

    Denis : (plus animé) Les gars attendent des directives et ont besoin plus que jamais de leur parti communiste. Beaucoup sont dans l’expectative et ne savent que penser et que faire. A cela s’ajoute le fait que le peuple manque de tout. Tout est rare. Beaucoup ont de la famille, un frère ou un père, prisonnier de guerre en Allemagne. Il faudrait réveiller les énergies.

    (Entrent l’un après l’autre Raoul, Maurice, Pierre et Claude. Ils s’installent.)

    Guy : Salut !

    Tous : Salut !

    Pierre : Il n’est pas là ?

    Guy : Non. Espérons qu’il ne lui est rien arrivé. On ne sait jamais avec les temps qui courent…

    (Entre Thierry. Chaleureuses poignées de main.)

    Guy : Bon. Nous pouvons commencer, tout le monde étant là. J’attire votre attention sur cela : il faudra faire preuve d’un peu plus de ponctualité, la prochaine fois, et arriver à l’heure. C’est important. Si on ne fait pas attention aux petites choses, qui pourra avoir confiance en nous dans les grandes choses que nous voulons réaliser ?

    (Tous opinent du chef. Guy poursuit :)

    Voici donc l’ordre du jour.

    (Raoul sort de sa poche un bloc note et un crayon. Il les pose sur la table.)

    Pas de notes manuscrites, par prudence, camarade. Elles pourraient tomber dans les pattes de l’ennemi. Il faudra faire fonctionner vos méninges.

    Le premier point de l’ordre du jour, c’est la situation internationale et nationale présentée par notre chef…

    (Guy se tourne vers Thierry, qui approuve.)

    …puis en second lieu, l’exposé de la situation à l’atelier du chemin de fer par Denis, et plus généralement sur la ville de Metz. Suivra un débat pour résoudre le problème suivant : que faire, quel sera à l’avenir, notre plan de travail ?

    L’heure est grave, et il est légitime d’attendre beaucoup de nous autres, communistes. Gageons qu’il faudra faire face à des sacrifices, pouvant aller jusqu’au sacrifice de notre vie et de la vie de ceux qui nous sont chers. Faisons face.

    Thierry : Camarades, voici ce que m’a chargé de vous déclarer le Centre. Au niveau international, il s’agit d’une lutte contre le fascisme, une lutte à mort entre la démocratie et le fascisme. Partout, la cible à abattre, c’est le fascisme. Les camarades chinois, sur leur sol, luttent déjà depuis 1937 contre cette gangrène, cette vermine, le fascisme japonais. En Europe, les communistes allemands et italiens sont aux avant-postes. Les fascistes, eux, ne s’y trompent pas, qui ont choisi comme cible tout ce qui est tant soit peu rouge. En France, il faut abattre les fascistes de l’Axe et leurs alliés, en particulier les boches. Il faut unir contre ceux-là tous ceux qui veulent participer à cette lutte pour la démocratie, sans distinction de classe, d’idéologie, de religion. Le temps n’est plus aux vaines paroles et aux conciliabules, mais à l’action directe, et nous devons être, nous autres les communistes, à l’avant-garde de cette lutte. Tous les soldats boches tués, tous les collaborateurs éliminés, c’est un pas vers la victoire finale, et un soutien à la lutte des peuples allemands, russes et chinois, et des peuples du monde.

    Que signifie cela sur le plan intérieur ? Qu’attend de nous cette situation nouvelle ?

    Camarades, c’est d’une guerre populaire dont il s’agit, et chacun de nous, quel que soit sa place, doit se considérer comme un soldat du peuple. Il faut réorganiser le Parti en fonction de cette ligne et mettre en œuvre une discipline de fer. Comme le soulignait le camarade Guy, la tâche sera difficile, notre route semée d’embûches, mais cela ne doit pas nous faire peur. D’ailleurs, la résistance est la seule voie possible permettant la survie du peuple français. Il n’y en a pas d’autre. Voilà ce que le comité central attend de vous.

    Vous autres, ouvriers cheminots, avez un rôle essentiel à jouer dans cette lutte longue et dure. Ailleurs, des camarades sont déjà à l’œuvre. Il faut organiser le sabotage de la production à l’atelier S.N.C.F. de Montigny, et détruire les télécommunications, faire sauter les voies ferrées et les ponts, désorganiser au maximum les arrières de l’ennemi. Pour cela, il faut trouver des armes partout où cela est possible, en prendre à l’ennemi.

    Notre Parti met actuellement en place un appareil militaire qui sera constitué de ses meilleurs éléments, les plus sûrs, les mieux entraînés. Il faudra renseigner cet appareil : dépôts de munitions, armes, transports de troupes, de prisonniers, terrains d’aviation…

    Vous êtes des agents de renseignement, vous devez laisser traîner vos oreilles et vos yeux partout où cela est possible.

    Si vous vous sentez incapable d’entreprendre ce travail, dites-le maintenant. Il n’est pas trop tard. Vous pourrez quitter nos rangs, sans haine, à la suite de cette réunion. Car pour ceux qui resteront, l’ennemi ne fera aucun cadeau : ce sera au mieux, en cas de capture, un camp de prisonniers et d’extermination en Allemagne et au pire la mort pour terrorisme, comme franc-tireur et agent de renseignement. Pour ceux qui resteront, le maître mot sera, plus que jamais : prudence, prudence, prudence, l’anonymat, car vos activités seront couvertes d’un silence d’outre-tombe. Vous devez utiliser un pseudonyme et on doit ignorer tout de votre véritable nom et de votre existence. La répression n’a que trop sévie dans nos rangs et nous avons déjà, faute d’expérience, perdu un nombre considérable de camarades. A parti d’aujourd’hui, dorénavant, plus jamais de réunions chez un camarade, où nous nous trouvons nombreux. C’est important…

    Guy : Ma femme fait le gué, et en cas d’alerte, nous pouvons nous échapper par le jardin, par la porte de derrière. Il est possible, par ce chemin, de parcourir deux kilomètres et d’accéder hors de la ville, en pleine campagne…

    Thierry : C’est insuffisant. Dorénavant, vous serez organisés en triangles : trois camarades, pas plus, formeront un triangle de base. Ce triangle aura un chef. Les chefs de deux triangles ainsi formés constitueront avec moi un triangle de second niveau, et recevront des directives. Vous devez oublier absolument qui sont les autres camarades ne faisant pas partie de votre triangle, et ignorer leurs activités. En cas d’activités centralisées, vous recevrez des directives particulières.

    J’espère bien m’être fait comprendre : à l’heure actuelle, ce qui prime, c’est l’action militaire directe. Tout le reste doit être soumis à l’action militaire. Mais il ne faut pas oublier les autres aspects de votre travail militant : la propagande et le recrutement. Sans cet aspect secondaire, pas d’action militaire efficace.

    La propagande, c’est notamment la diffusion de l’ « Humanité » clandestine. Chaque triangle doit faire son possible pour diffuser aussi une feuille volante, dénonçant l’occupation allemande, les collabos, et appelant à la lutte unie.

    N’oubliez pas le recrutement, afin de développer notre mouvement et remplacer les vides faits dans nos rangs par l’ennemi. De toute façon, vous devez vous fondre dans le peuple et être lié au peuple comme les lèvres aux dents. Si l’un de vous est connu et repéré comme militant communiste, par les flics ou les collabos, il doit disparaître du coin.

    Denis : C’est enthousiasmant, et le Centre a vraiment repris les choses en main. Nous désespérions, et cette autocritique du Centre renforce notre confiance dans le Parti : les choses n’ont que trop attendu, et par les hésitations, nous étions en décalage par rapport à la réalité. Maintenant, je sens que nous allons plus coller aux événements.

    Mais dans ton intervention, tu as oublié tout un aspect des choses : le peuple a faim. Tout ce que nous autres, produisons, va en Allemagne. Aussi les ouvriers haïssent les Allemands et « à chacun son boche » est un mot d’ordre juste. Les syndicats ont un grand rôle à jouer.

    Il y a aussi le problème des prisonniers de guerre : les forces vives sont en Allemagne.

    Que représentons-nous, nous autres communistes, par rapport à cela ?

    Les Allemands et les Vichystes surinent que les communistes ne sont pas des Français à part entière, et leur propagande hystérique n’est pas sans porter des fruits au sein des masses. Ne risquons-nous pas, en entreprenant des attentats, d’être encore plus isolés du peuple, et d’être éliminés ? Ne faut-il pas s’attacher à des revendications économiques ?

    Raoul : Je crois que le camarade Thierry a bien parlé. Je suis d’accord pour la cible : c’est le fascisme.

    Mais quels sont nos alliés ? La bourgeoisie française est objectivement complice des fascistes allemands : par peur des mouvements sociaux du Front populaire et par peur des ouvriers, la bourgeoisie a préparé la débâcle de 1940. Songez à Munich, camarades ! Aujourd’hui encore, la bourgeoisie a plus peur de nous, communistes, que des Allemands, et elle est prête à pactiser avec le diable pour garder ses usines et ses profits. Aussi, la « bourgeoisie complice » implique : pas d’unité d’action avec la bourgeoisie.

    Thierry : La situation a changé. Les Nazis s’emparent de la richesse des bourgeois français et les exproprient. Prenez le cas de de Gaulle : c’est un représentant de la haute bourgeoisie financière. Bourgeoisie française et bourgeoisie allemande sont devenues ennemies. Tactiquement, bourgeois et ouvriers français sont alliés contre le danger immédiat : le nazisme. Mais j’aimerais que d’autres camarades s’expriment là-dessus.

    Claude : Le nœud du débat est ceci : depuis la fondation de notre Parti, suivant les différentes étapes concrètes, notre programme fondamental est de renverser le capitalisme, de faire la révolution prolétarienne et d’instaurer le socialisme, la dictature du prolétariat, à l’image de ce qu’ont fait Lénine et Staline en U.R.S.S.

    La situation actuelle, c’est l’occupation de notre sol par le fascisme. Aussi, la lute actuelle est une lutte pour la libération nationale, contre le nazisme. Mais nous voulons que l’aboutissement de cette lutte soit une France nouvelle, socialiste, car notre bourgeoisie s’est avérée incapable de diriger le pays économiquement et de le défendre contre l’hitlérisme. Ce qu’il nous faut, c’est le socialisme.

    Thierry : Nous ne devons pas mettre notre programme communiste au rancart et l’oublier, tels des opportunistes. Mais ce qui nous est demandé, à l’heure actuelle, est une lutte nationale pour libérer le territoire et, pour cela, il faut unir quatre-vingt quinze pour cent des Français. Seuls, nous n’y arriverons pas. Et si nous mettons en avant notre programme stratégique, l’insurrection nationale, nous allons nous isoler du peuple, et nous courrons à l’échec : les bourgeois, les paysans et les autres classes sociales n’oseront pas s’unir à nous, combattre l’ennemi commun avec nous, de peur d’être nationalisés. Nous serons seuls à combattre l’ennemi dans notre coin, refusant l’aide et les moyens des autres couches de la population. C’est courir à l’échec certain.

    Le socialisme n’est plus – ou pas encore – à l’ordre du jour. Ce qu’il faut, c’est un front national pour bouter l’ennemi hors du territoire national. Là, nous ferons œuvre d’internationalistes prolétariens, apportant notre pierre à l’édifice de la révolution mondiale. Athée ou croyant, bourgeois ou ouvrier, ponctuellement, la lutte est la même : nous sommes embarqués sur le même bateau, et nous laverons notre linge en famille, entre nous, une fois franchie l’étape actuelle.

    Le peuple français doit décider lui-même, à la fin du conflit actuel, quel régime il désire instaurer : le capitalisme ou le socialisme. Nous, communistes, nous sommes pour le socialisme, et nous mettrons tout notre poids dans la balance pour que ce soit un régime socialiste qui s’établisse dans le pays. Nous ne cachons jamais notre programme fondamental. Mais aujourd’hui, quand je dis que le socialisme n’est pas à l’ordre du jour, je veux dire qu’il faut mettre ce programme en sourdine, et se consacrer aux tâches immédiates que le peuple attend de nous : la lutte antifasciste. Il y a le programme stratégique et le programme tactique. C’est tout.

    Pierre : Si je te comprends bien, il s’agit d’une seule et même lutte. Pour faire la révolution, il faut tenir compte de la situation concrète, de l’étape actuelle. Autrement dit, pour faire la révolution demain, résistons aujourd’hui. Il faut donc préparer ces lendemains.

    Tu peux être sûr que, si la bourgeoisie s’allie avec nous, elle, de son côté, ne le fait pas non plus sans arrière-pensée : elle prépare des lendemains capitalistes.

    Je suis d’accord avec toi : il ne faut pas hésiter une seconde à d’allier partout où s’est possible avec la frange de la bourgeoisie française qui résiste à Hitler. Mais à tout moment, le Parti communiste doit conserver la direction du mouvement de résistance, et se préparer à recevoir des coups de couteau dans le dos de de Gaulle. La tâche principale actuelle, de l’heure, c’est de bouter les hordes nazies hors de France. Ce sont les intérêts de la bourgeoisie. Ce sont aussi les nôtres ? Tactiquement, les intérêts sont les mêmes. Stratégiquement, non. Stratégiquement, les intérêts de la bourgeoisie, c’est de chasser les boches pour instaurer à nouveau un système d’exploitation de l’homme par l’homme en France. Nos intérêts à nous, c’est d’instaurer le socialisme. Dans le processus de la lutte actuelle, chacun des adversaires va chercher à amasser des forces et à diriger la résistance pour, à l’issue de la guerre, instaurer un régime à sa guise.

    Aussi le Parti communiste doit s’allier, mais ne pas s’inféoder, à la bourgeoisie celle qui ne collabore pas. Le Parti doit amasser des forces, se gagner le peuple, pour chasser la bourgeoisie et faire la révolution lors de l’étape suivante. Sur le champ de bataille, nous, communistes, devons diriger la résistance, et être les meilleurs combattants antifascistes, les meilleurs représentants du peuple. Que la cellule se prononce là-dessus.

    Maurice : Je ne suis pas d’accord d’en parler ainsi. Il y a deux étapes et non une. D’abord songeons à la libération nationale. Ensuite, après, nous parlerons à nouveau de la révolution prolétarienne. Si l’on tient ce genre de discours à la bourgeoisie, ce que Pierre vient de dire, elle ne voudra jamais s’unir avec nous. Elle n’est pas sotte. La révolution n’est pas encore à l’ordre du jour. Je suis d’accord avec Thierry. Il faut s’allier avec de Gaulle et avec tous ceux qui acceptent une lutte réelle contre les Allemands.

    D’ailleurs, l’heure tourne, il se fait tard : il faut penser à l’action demain. Conformons-nous aux décisions pratiques.

    Thierry : D’accord. Mais le débat est loin d’être clos. Il faudra le reprendre. C’est important d’avoir une vue juste de l’avenir. Le Parti doit marcher d’un seul pas. Je rendrais compte des différents avis exprimés ici sur notre programme immédiat.

    En ce qui concerne les mesures immédiates : Denis et Guy, comme ils travaillent tous deux aux ateliers de Montigny, formeront un triangle avec Raoul, instituteur et agent de liaison.

    Pierre et Maurice, roulant, formeront un deuxième triangle ayant à sa tête Claude, femme de cheminot, qui peut se déplacer plus facilement, sans que cela apparaisse bizarre.

    Dorénavant, vous serez autonome, et n’aurez plus de contact. Denis, Guy et Raoul ont des mesures à prendre, laissons-les.

    (Thierry se lève)

    Sortons l’un après l’autre, un tous les quarts d’heure.

    (Pierre, puis Maurice, puis Claude, enfin Thierry sortent l’un après l’autre.)

     

     

     

     

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