• RECIT DU CHEMINEMENT DE PIERRE QUADER QUI A AIME, TRAVAILLE ET PRIE POUR NE PLUS RENAITRE (Partie 13)

    Le miracle de l'évocation a-t-il concrétisé des personnages de chair et de sang ? A peine est-ce des ombres fatiguées sur la toile grise du passé et ceci est occasionné moins par l'impossibilité de dépeindre une vue objective qu'à l'absence d'ampleur des héros. Ainsi, au premier abord, monsieur Quader serait ce type d'homme qui vise aux plaisirs et aux gueuletons, qui s'adonne à l'alcool et passe beaucoup de bon temps au lit, et madame Quader, une bonne âme, aimante et douce, qui ne songe qu'au bien-être de ses enfants, dévouée même à son mari « qui ne le mérite point ». Sans aucun doute, madame Quader agrafait à l'aide d'une épingle la chemise de nuit de son mari à la sienne pour invalider toute intention de celui-ci d'échapper du lit conjugal en catimini pour se rendre à la cave et puiser aux tonneaux, à l'aide d'un chiffon s'imbibant du jus de la vigne, à la lumière de la lune, des étoiles et d'une bougie coupable.

     

    RECIT DU CHEMINEMENT DE PIERRE QUADER QUI A AIME, TRAVAILLE ET PRIE POUR NE PLUS RENAITRE (Partie 13)

     

    Le miracle de l'évocation a-t-il concrétisé des personnages de chair et de sang ? A peine est-ce des ombres fatiguées sur la toile grise du passé et ceci est occasionné moins par l'impossibilité de dépeindre une vue objective qu'à l'absence d'ampleur des héros. Ainsi, au premier abord, monsieur Quader serait ce type d'homme qui vise aux plaisirs et aux gueuletons, qui s'adonne à l'alcool et passe beaucoup de bon temps au lit, et madame Quader, une bonne âme, aimante et douce, qui ne songe qu'au bien-être de ses enfants, dévouée même à son mari « qui ne le mérite point ». Sans aucun doute, madame Quader agrafait à l'aide d'une épingle la chemise de nuit de son mari à la sienne pour invalider toute intention de celui-ci d'échapper du lit conjugal en catimini pour se rendre à la cave et puiser aux tonneaux, à l'aide d'un chiffon s'imbibant du jus de la vigne, à la lumière de la lune, des étoiles et d'une bougie coupable.

    Cette première vision s'évapore rapidement si on n'élude pas que madame Quader se débinait souvent à la salle de cinéma de la ville voisine, se prélassant dans un fauteuil rembourré devant le petit écran et on commérait aussi au village que si son mari procréait un enfant environ tous les deux ans pendant vingt ans, c'était pour combattre la nature folâtre de sa femme, un vrai courant d'air dont la tocade était de permuter de temps à autre son partenaire, l'âge n'ayant que peu d'importance: « J'ai un sexe comme toutes les femmes et j'en ai encore un autre à la hauteur du genou pour les petits garçons! » précisait-elle. A la suite d'une de ses virées, son mari la ramenait chez elle, avachie et roupillant, complètement saoûle, dans une brouette.

    Ce qui énerve et épouvante quand on survole le peu que l'on suppute quant à la vie de ces héros, c'est l'impossibilité flagrante d'inscrire ces existences dans l'histoire, la grande Histoire, celle que l'on calligraphie avec un H majuscule: ils appartiennent à la masse des travailleurs miséreux et sans noms, ceux à qui l'on n'a jamais rien donné et qui ne cèdent rien en héritage sinon l'art de recevoir des coups de pied au derrière en bredouillant merci.

    Si, exaspéré, pour redorer le blason de Pierre Quader et désigner quelqu'un d'un peu plus d'envergure, vous l'incrustez de force dans cette histoire des hommes, vos efforts seront puérils et vains: à peine parviendrez-vous à le camper en train de défiler, paradant avec une pancarte revendicative, lors des grands mouvements de grèves de 1936, sorte de coup d'éclair dans sa vie. Mais qui, alors, ne coopérait pas à ces mouvements sociaux ? Toute la société, classe ouvrière en tête, pénétrait sur la scène et délibérait – rares moments exaltants – de la vie collective et, une fois l'incendie éteint, Pierre Quader disparaît également de l'avant-scène.

    Lors de la seconde guerre mondiale, Pierre Quader s'était dissimulé, puis réfugié, jusqu'à la fin du conflit, dans la ferme de son beau-père pour se soustraire au Service du Travail Obligatoire et ne pas être enrégimenté dans l'armée allemande pour guerroyer sur le front russe à l'image de nombreux « Malgré-nous » d'Alsace-Lorraine : embellir cela et s'ingénier à voir là un haut fait d'arme de résistance au nazisme, c'est exagéré, car au regard de la nature humaine de Pierre Quader, c'était plutôt le refus de se faire tuer pour une cause incompréhensible et surseoir à tout prix à n'importe quelle guerre, bref rester passif et inerte, planqué sans plus.

    Plus tard Pierre Quader n'adhérait jamais à un quelconque parti politique : logiquement, il aurait dû opter spontanément pour le parti communiste français, alors parti de la Résistance, de la classe ouvrière et des opprimés. Mais rien de cela ! Il n'est même pas possible de le figurer au moins au rang des anarchistes impénitents ou des individualistes et, s'il en était, c'était non pas par un choix libre, mais parce que cela reflétait son tempérament et son origine sociale.

     

     

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