• Liberté, égalité, fraternité (Partie 31)

    Dans la mesure où la détermination des classes fait appel aux rapports politiques, et où ceux-ci n’existent que matérialisés dans des appareils, une analyse des clases sociales (des luttes de classes) ne peut être entreprise que dans leurs relations aux appareils et notamment aux appareils d’Etat. Les classes sociales et leur reproduction n’existent que par la relation entre d’une part les classes sociales et d’autre part les appareils d’Etat et appareils économiques. Ces appareils ne se « surajoutent » pas simplement, comme des appendices, à la lutte des classes, mais y détiennent un rôle constitutif.

     

    Liberté, égalité, fraternité (Partie 31)

     

    1. CONCEPTION IDEALISTE DU POUVOIR

     

    Cette façon de concevoir le pouvoir est une mystification qui vise à conserver ce pouvoir en fait à la classe bourgeoise. C’est une façon de traiter le problème du pouvoir politique, qui repose en dernière analyse, sur la négation des classes, des contradictions de classes et des luttes de classes. En général, pour cette conception du pouvoir, le moteur de l’histoire, ce sont les idées, ou bien les grands hommes (théorie du génie), ou encore les forces productives, et non la lutte de classes.

    Les révisionnistes appartiennent à cette école, car, s’ils « reconnaissent » l’existence des clases, des contradictions de classes et des luttes de classes en paroles, ils refusent d’en tirer les conséquences pratiques, c’est-à-dire la reconnaissance de fait de la dictature du prolétariat.

    Un exemple de la conception idéaliste du pouvoir est l’ouvrage de Bertrand de Jouvenel, Du Pouvoir.

    Une des choses les plus étonnantes est la distinction entre « pouvoir politique » et pouvoir d’Etat. Ainsi, par exemple, on aurait d’un côté, « le pouvoir des travailleurs » exercé dans l’entreprise, et à différents niveaux de la société, un pouvoir morcelé en différents « centres », et de l’autre côté, l’Etat. D’une part, les organes du « pouvoir des travailleurs », de l’autre l’appareil d’Etat. Nous rejoignons ici un vieux débat que Lénine expose dans La révolution prolétarienne et le renégat Kautsky, au chapitre « Défense aux soviets de se transformer en organisation d’Etat » ; c’est là un cheval de bataille de Kautsky, représentant le plus éminent du révisionnisme ancien. A ce sujet, Lénine déclare :

    « …il s’agit de savoir si les soviets doivent s’efforcer de devenir des organisations d’Etat…OU BIEN les soviets ne doivent pas s’y efforcer, ne doivent pas prendre le pouvoir, ne doivent pas devenir des organisations d’Etat. (…) C’est en fait passer du côté de la bourgeoisie disposée à admettre tout ce que l’on veut, sauf la transformation des classes qu’elle opprime en organisations d’Etat…Dire aux soviets : luttez mais ne prenez pas en main tout le pouvoir d’Etat, ne devenez pas des organisations d’Etat, c’est prêcher la collaboration des classes et la « paix sociale » entre le prolétariat et la bourgeoisie. » (184)

    Les soviets, organisation d’Etat, reprenaient et enrichissaient l’expérience de la Commune. Dans sa tentative d’édification d’un nouvel Etat, la Commune fit des assemblés des organes d’Etat. En refusant la destruction de l’Etat capitaliste, le révisionnisme ancien et moderne se trouve devant la situation suivante : il proclame en paroles le « socialisme » pouvoir des travailleurs, mais maintien un Etat étranger et antagonique à ce « pouvoir », l’Etat bourgeois. Dans de telles conditions, il est clair que les révisionnistes ne sont pas, ne veulent pas, et ne peuvent pas être des représentants du pouvoir des travailleurs, du socialisme. La supercherie consiste à hypostasier la notion de pouvoir politique de façon métaphysique, et à élaborer sur elle des spéculations abstraites. Or, on ne saurait séparer la question du pouvoir des conditions concrètes de sa manifestation : l’Etat. Agir ainsi vise en fait à maintenir le pouvoir au profit de la classe dominante, et à obscurcir le problème. En réalité, on ne peut diviser, séparer le pouvoir politique ainsi. Le « pouvoir du peuple en général », le « pouvoir en soi » n’ont en réalité aucune existence, sinon celle d’être des « êtres de pensée », des notions idéologiques. Seules existent les classes, les contradictions de classes et les luttes de classes : donc on ne saurait penser un pouvoir au-dessus de ces existences. Dans une société de classes, il ne saurait exister un « pouvoir » qui ne soit un pouvoir de classe.

    Une des conséquences, est que le pouvoir est un tout et ne se divise pas. Aussi, la théorie du « grignotage » est-elle complètement fausse. Voici comment elle présente la prise du pouvoir par les travailleurs : de grignotage en grignotage, le pouvoir des patrons et de l’Etat se rétréciraient …Cette théorie est une forme de réformisme qui se présente sous couleur « subversive » : elle prétend que l’on peut gagner le pouvoir morceau par morceau, le rogner.

    « Le peuple constate par l’expérience que la représentation populaire n’est rien si elle n’est pas investie de pleins pouvoirs, si elle a été convoquée par le pouvoir en place, si celui-ci est toujours là intact, à ses côtés. (185)

     

    1. POUVOIR D’ETAT ET APPAREILS D’ETAT

     

    Qu’est-ce que les appareils, notamment les appareils et branches d’Etat ? Quel est leur rapport aux classes sociales ?

    On peut énumérer ces appareils. Ils comprennent :

      • D’une part l’appareil répressif au sens strict et ses branches (armée, police, magistrature, administration) ;

      • D’autre part les appareils idéologiques d’Etat (l’appareil scolaire, l’appareil religieux – les Eglises --, l’appareil d’information – radio, télévision, presse --, l’appareil culturel – cinéma, théâtre, édition --, l’appareil syndical de collaboration de classe, les partis politiques bourgeois et petits bourgeois, etc.) – sous un certain aspect, dans le mode de production capitaliste, la famille.

     

    Outre les appareils d’Etat, on trouve également l’appareil économique au sens strict, l’ « entreprise » ou l’ « usine ». Comme centre d’appropriation de la nature, l’appareil d’Etat matérialise et incarne les rapports économiques dans leur articulation aux rapports politico-idéologiques.

    Les appareils ont pour rôle principal de maintenir l’unité et la cohésion d’une formation sociale en concentrant et en consacrant la domination de classe. Ils reproduisent ainsi les rapports sociaux c’est-à-dire les rapports de classe. Dans les appareils d’Etat, les rapports politiques et idéologiques se matérialisent et s’incarnent comme pratiques matérielles.

    Dans la mesure où la détermination des classes fait appel aux rapports politiques, et où ceux-ci n’existent que matérialisés dans des appareils, une analyse des clases sociales (des luttes de classes) ne peut être entreprise que dans leurs relations aux appareils et notamment aux appareils d’Etat. Les classes sociales et leur reproduction n’existent que par la relation entre d’une part les classes sociales et d’autre part les appareils d’Etat et appareils économiques. Ces appareils ne se « surajoutent » pas simplement, comme des appendices, à la lutte des classes, mais y détiennent un rôle constitutif.

    Quel est le rapport et la distinction entre pouvoir d’Etat et appareils d’Etat ?

    Les appareils d’Etat ne possèdent pas de « pouvoir » propre, mais matérialisent et concentrent les rapports de classes, rapports que recouvre précisément le concept de « pouvoir ».

    L’Etat est lui-même un rapport, la condensation d’un rapport de classe. Cela signifie que les diverses fonctions économiques, politiques et idéologiques, remplies par les appareils d’Etat dans la reproduction des rapports sociaux ne sont pas des fonctions « neutres » et en soi, existant d’abord comme telles pour être simplement détournées par la suite par les classes dominantes ; ces fonctions dépendent du pouvoir d’Etat inscrit dans la structure même de ces appareils d’Etat, à savoir des classes et fractions de classes qui occupent le terrain de la domination politique. Cette domination politique elle-même est solidaire de l’existence et du fonctionnement des appareils d’Etat.

    Il s’ensuit qu’une transformation radicale des rapports sociaux ne peut se limiter à un changement de pouvoir d’Etat, mais doit aussi « révolutionnariser » les appareils d’Etat eux-mêmes. La classe ouvrière ne peut se contenter, dans le procès de la révolution socialiste, de prendre la place de la bourgeoisie au niveau du pouvoir d’Etat, mais doit également transformer radicalement (« briser ») les appareils d’Etat bourgeois et les remplacer par des appareils d’Etat prolétariens. Mais c’est le pouvoir d’Etat, directement articulé à la lutte des classes, qui détermine le rôle et le fonctionnement des appareils d’Etat. Cela s’exprime, du point de vue de la révolutionnarisation des appareils d’Etat, par le fait que la classe ouvrière et les masses populaires ne peuvent « briser » les appareils d’Etat qu’en s’emparant du pouvoir d’Etat. Cela signifie que le rôle de tel ou tel appareil ou branche d’Etat (école, armée, partis, etc.) dans la cohésion de la formation sociale, la représentation des intérêts de classe et la reproduction des rapports sociaux, ne tient pas à leur nature intrinsèque, mais dépend du pouvoir d’Etat. Plus généralement, toute analyse d’une formation sociale doit prendre en considération à la fois directement les rapports de lutte de classe, les rapports de pouvoir, et les appareils d’Etat, qui matérialisent, concentrent et réfléchissent ces rapports. Mais dans la relation entre lutte des classes et appareils, c’est la lutte des classes qui a le rôle fondamental.

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