• Le secret maçonnique (Partie 20)

    Les hébertistes furent éliminés essentiellement parce qu’ils étaient devenus un obstacle à la réalisation des desseins de la bourgeoisie révolutionnaire. Pendant quelques mois, la Montagne avait tendu un os à ronger aux sans-culottes. Ayant besoin d’eux pour vaincre la contre-révolution intérieure, et surtout, l’ennemi extérieur, elle leur avait fait un certain nombre de concessions ; elle avait tenté, dans une certaine mesure, d’atténuer les effets de l’inflation et de la vie chère ; elle avait agi, simultanément, sur la monnaie et sur les prix. L’heure du péril extrême était passée. Elle n’avait plus autant besoin des « bras nus ». Elle jugea le moment venu de commencer à leur reprendre ce qu’elle leur avait concédé.

     

    Le secret maçonnique (Partie 20) 

     

    A)   Le double pouvoir et le renforcement du pouvoir central :

     

    Au cours de la révolution s’est créé un pouvoir bourgeois et un pouvoir populaire : peu à peu, le premier a brisé le second et est devenu prééminent et monopolistique.

    La Commune insurrectionnelle de 1792 de Paris joue un rôle essentiel de double pouvoir face à la convention, de l’été 1792 à l’été 1794. A partir du 14 juillet 1789 s’est créée une Commune bourgeoise, dont Jean-Sylvain Bailly est le premier maire. La loi du 21 mai 1790 avait prévu que le conseil général de la Commune était élu par les « citoyens actifs » -- c’est-à-dire des bourgeois acquittant un impôt – admis dans les 48 sections de la capitale. La Commune dispose d’une force armée, la garde nationale, qui lui permet d’appliquer ses décisions par la force.

    En juillet 1792, la gravité de la situation oblige les sans-culottes à investir les sections, jusqu’ici réservées aux bourgeois. Ceci aboutit à l’insurrection du 10 août 1792. C’est le début de la I° république. La Commune se constitue en double pouvoir. Formée de 52 commissaires, cette Commune est présidée par Jérôme Pétion. Le caractère populaire de la Commune fait de celle-ci l’organe des sans-culottes. La première revendication est l’égalité des jouissances. La seconde revendication porte sur le mode de gouvernement : les sans-culottes se réclament de la souveraineté populaire, c’est-à-dire de la démocratie directe et les mandats impératifs. La Commune fait pression sur la convention, l’obligeant à reprendre ses revendications.

    Robespierre a su d’abord être à la tête des deux pouvoirs, la convention et la Commune de Paris. Puis il y a scission de ces deux pouvoirs, car contradiction d’intérêt, ce qui explique la chute de Robespierre.

    Il y a synchronisation de deux dates, en 1793 :

    • Le décret sur la liberté des cultes, le 6 décembre ;
    • Le décret par lequel furent mis définitivement en place les premiers éléments d’un pouvoir central fort le 4 décembre.

    La loi du 4 décembre est présentée par la bourgeoisie comme l’apogée de la révolution ; mais c’est une loi qui, dans certaines de ses dispositions, marque le début de la réaction. C’est l’étape de la formation de la machine d’Etat par laquelle la bourgeoisie va asservir le prolétariat aux siècles suivants. Ainsi, un des mobiles de l’évolution qui commence le 4 décembre semble bien avoir été la volonté de la bourgeoisie révolutionnaire de réduire – en attendant de le briser – le pouvoir des masses. Ce fut le comité de salut public qui, contre les masses populaires, amorça l’évolution qui, d’étape en étape, devait conduire aux préfets d’Empire. Considérant le régime de 1793, il ne faut pas confondre, sous les divers mots de « dictature de salut public », de « dictature montagnarde », de « dictature jacobine », de « gouvernement révolutionnaire », deux sortes de contraintes :

    • D’une part, un pouvoir populaire, démocratique, décentralisé, propulsé du bas vers le haut, celui des sans-culottes en armes, groupés dans leurs sections, leurs clubs, leurs communes, exigeant, à l’occasion de revers extérieurs, le châtiment impitoyable de l’ennemi intérieur.
    • D’autre part, une dictature bourgeoise, autoritaire, centralisés, propulsée du haut vers le bas,et dirigée non seulement contre l’aristocratie, mais aussi de plus en plus contre les « bras nus », contre les organes du pouvoir populaire.

    La tendance vers le premier de ces types de pouvoir se manifeste dès le 10 août 1792 et dans les semaines qui suivent : au lendemain de la chute de Longwy et de Verdun, la Commune insurrectionnelle s’empare d’une partie du pouvoir et elle arrache à la bourgeoisie, ou prend elle-même, des mesures radicales en vue d’écraser la contre-révolution. Les massacres de Septembre marquent l’apogée de cette ébauche de contrainte populaire.

    Mais la bourgeoisie oblige le torrent à rentrer dans son lit et, par ailleurs, la victoire militaire de l’automne 1792 et du début de 1793, rendent moins nécessaire un régime d’exception.

    La tendance à une contraint populaire se manifeste à nouveau, en mars-avril 1793, lorsqu’on apprend successivement à Paris, le soulèvement de la Vendée, la trahison de Dumouriez, l’évacuation de la Belgique, l’invasion du territoire national. Les « bras nus » se soulèvent comme au 10 août, ils exigent que la république frappe vite et fort. La bourgeoisie montagnarde craint un instant une explosion du mouvement des masses, le renouvellement des massacres de Septembre, dont elle a conservé un si mauvais souvenir. Elle prend elle-même en main la Terreur. Elle la dirige d’en haut, pour éviter qu’elle ne surgisse d’en bas. Elle crée les rouages d’exception réclamés par les sans-culottes, mais elle les crée sous son contrôle, à son profit ; elle fait servir au renforcement du pouvoir central la pression des « bras nus » en faveur d’une dictature populaire ; le comité de salut public, le tribunal révolutionnaire voient le jour en tant qu’instrument de la domination bourgeoise.

    Les Girondins comprennent fort bien la différence qu’il y a entre une contrainte populaire, que les Montagnards redoutent autant qu’eux, et la dictature de salut public qui s’instaure au profit de la bourgeoisie. C’est pourquoi ils s’associent au vote des mesures d’exception. Ils en escomptent un renforcement de l’exécutif, dont eux-mêmes, du moins ils l’espèrent, pourront éventuellement tirer profit. C’est ainsi qu’ils essaieront d’utiliser le tribunal révolutionnaire, peu après sa création, pour faire juger et condamner à mort Marat.

     

    B)    Hébert et les hébertistes, et les enragés :

     

    Les plébéiens sont des hommes issus du peuple ou proche du peuple, mais déjà élevés au-dessus du peuple, différenciés de celui-ci, et ayant par conséquent, des intérêts particuliers distincts des siens. Qu’ils fussent d’origine populaire, comme Chaumette et Rossignol, où qu’ils fussent des bourgeois déclassés, comme Hébert et Ronsin, ils n’étaient pas les interprètes directs et authentiques des « bras nus ».

    Les mots d’ordre du mouvement « exagéré », en partie repris de ceux de Jacques Roux et des enragés, sont : répression contre les accapareurs, taxes sur les « riches », création d’armées révolutionnaires, etc.

    En juin 1793, Robespierre combat Jacques Roux, du club des Cordeliers, qui fait partie de ceux qu’on surnomme les enragés, qui veulent mettre en place une république égalitaire. Sont concernés Hébert, Pache, maire de Paris, et Chaumette. Sur ce plan, Robespierre est inflexible. Le bourgeois qu’il est ne peut envisager une révolution qui serait pratiquement communiste. Robespierre fera arrêter les membres influents des Cordeliers, soit tout l’état-major des enragés, dont Hébert, qu’il accusera d’être du parti de l’étranger. Les meneurs seront guillotinés. La rupture est consommée entre ceux qui croyaient en une révolution sociale et Robespierre qui ne l’avait au fond jamais envisagée. Puis Robespierre élimine les indulgents, dont Danton et Camille Desmoulins.

    Mis en cause pour ses positions « extrémistes », et pour son soutien à la déchristianisation, Hébert est attaqué par les « indulgents », mais aussi par Robespierre. En ventôse an II, les Cordeliers dénoncent les « endormeurs » du comité de salut public et en appellent à une nouvelle insurrection. Le 23 ventôse (13 mars 1794), Hébert et ses amis (Ronsin, Momoro, Vincent, etc.) sont arrêtés. Condamnés à mort par le tribunal révolutionnaire, ils sont guillotinés le 4 germinal (24 mars), quelques jours avant les indulgents. Avec ce « drame de germinal », le gouvernement révolutionnaire se coupe d’une partie de son soutien révolutionnaire.

    Pour contenir les « bras nus », il fallait d’abord écraser l’hébertisme. Mais avant de frapper les hébertistes, il fallait, par une habile démagogie, les dissocier des masses.

    Hébert était partagé entre deux sentiments : d’une part, la crainte (crainte du mouvement des masses, crainte de la répression gouvernementale) ; d’autre part, l’envie qu’il avait d’entrer au ministère de l’Intérieur, et d’y remplacer Paré, qui, protégé par Danton et Robespierre, lui avait soufflé ce portefeuille l’été précédent. Ecartelé entre la bourgeoisie et l’avant-garde populaire, Hébert n’avait eu que des velléités d’action, stimulées par l’ambition, refoulées par la peur.

    La bourgeoisie montagnarde hésita. La guerre n’était pas finie et, dans une certaine mesure, elle avait encore besoin de ménager les sans-culottes. Dans la nuit du 13 au 14 mars, Hébert et ses partisans se laissèrent prendre sans avoir tenté un geste de résistance. Le 24 mars (Hébert et 21 partisans guillotinés) sonna le glas de la démocratie populaire. La bourgeoisie écrasa à travers l’hébertisme, l’embryon de la démocratie populaire qui, tout au long de la révolution, l’avait fait trembler. Couthon, avec sa mauvaise foi coutumière, prononça : « Quarante-huit sociétés populaires dans Paris formaient le spectacle hideux du fédéralisme ; il est temps qu’il disparaisse de nos yeux ». La Commune de Paris, depuis longtemps, portait ombrage au pouvoir central. A travers les hébertistes, c’était la Commune qui était visée. Ainsi se termina le règne des plébéiens au ministère de la guerre. Ainsi furent liquidés les hommes qui avaient réalisé une des œuvres les plus importantes de la révolution : la sans-culottisation de l’armée. Les hébertistes furent éliminés essentiellement parce qu’ils étaient devenus un obstacle à la réalisation des desseins de la bourgeoisie révolutionnaire. Pendant quelques mois, la Montagne avait tendu un os à ronger aux sans-culottes. Ayant besoin d’eux pour vaincre la contre-révolution intérieure, et surtout, l’ennemi extérieur, elle leur avait fait un certain nombre de concessions ; elle avait tenté, dans une certaine mesure, d’atténuer les effets de l’inflation et de la vie chère ; elle avait agi, simultanément, sur la monnaie et sur les prix. L’heure du péril extrême était passée. Elle n’avait plus autant besoin des « bras nus ». Elle jugea le moment venu de commencer à leur reprendre ce qu’elle leur avait concédé.

     

     

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