• Le Récit (suite)

    J’attache beaucoup de valeur et de dignité à la vie : je ne demande donc pas que l’on mette fin à ma vie, mais que mon agonie ne soit pas prolongée de manière déraisonnable, et que la dignité de la vie soit respectée.

    DIMANCHE 2 JANVIER 1983

    Seigneur Dieu, fais moi rencontrer l’Ange, qu’il m’inspire et me guide !

    Cependant, j’éviterai l’idolâtrie : l’Ange est un intercesseur, il n’est pas Dieu, car Dieu est le Soi, au-delà du « je ».

     

    LUNDI 28 FEVRIER 1983

    L’intention de l’ennemi, qui veut détruire en moi l’être humain, est en fait mon meilleur allié. Je m’appuierai sur ses intentions mauvaises et maladroites, car elles peuvent m’aider à éliminer le petit je.

     

    DIMANCHE 6 MARS 1983

    Lettre à Dieu.

    Mon Dieu, aie pitié de moi ! Donne-moi la force et le courage ! Je ne suis rien et rends-moi encore plus humble. Je suis parfois haineux et je souhaite le mal à autrui : donne-moi la sagesse, celle de pardonner et de me mettre en question moi-même ! Fais que le moment que je vis maintenant soit un moment de réflexion et me rapproche beaucoup de ma famille.

    Les mauvaises pensées sont à l’origine de nombreuses maladies : actuellement, le petit bassin – vessie, urètre et reins – se rebelle. J’urine souvent et la nuit j’ai de l’énurésie. Semble-t-il, c’est l’ego qui se révolte, parce qu’il s’estime insuffisamment reconnu. Je n’arrive pas à accepter ce qui m’arrive et je m’accroche à mon passé : Dieu, indique-moi quelle est l’erreur et où est le péché ? Aide-moi, Seigneur Dieu, à supporter la douleur qui me submerge et donne-moi la force de passer au travers !

    Seigneur Dieu, à quoi bon tout ce que j’apprends – au niveau intellectuel – concernant la spiritualité, si tous ces principes me font défaut lors des jours sombres ?

    Je ne me comparerai pas aux autres, car il en résulte de la jalousie et de la haine.

     

    LUNDI 7 MARS 1983

    Je suis encore trop obnubilé par moi-même et par mon propre sort et il en résulte que j’ai du mal à entrevoir ce que pensent et vivent les personnes qui m’entourent ; il y a malgré tout de petites tentatives de m’intéresser à autrui, du moins en étant de bon conseil et en ne faisant pas le mal. Je suis encore trop dispersé et indiscipliné, trop irrégulier dans l’application des deux exercices du matin et du soir. Mon Dieu, donne-moi le courage et la force !

     

    LUNDI 14 MARS 1983 

    Je me tournerai vers Dieu, seul soutien et je ferai bien chaque fois la part de ce qui relève du Soi et de ce qui relève de l’ego. Le Soi est ce qui est, reste et restera, l’Amour, l’aide désintéressée apportée aux autres. L’ego, ce sont les idées de vengeance, les petits accidents de parcours, les dire et faire des uns et des autres, y compris de moi-même.

     

    MERCREDI 23 MARS 1983

    J’ai peur, peur de mourir, et peur de perdre ce que j’ai : le confort, mon épouse, mes enfants, etc. Je souhaite de manière irréaliste, tout garder, et tout garder en l’état. C’est un manque de confiance et un manque de foi en Dieu.

     

    DIMANCHE 3 AVRIL 1983

    Tel sera ma foi et ma certitude : l’ego se déplace et le Soi demeure.

    J’ai trop de dépendances et d’habitudes anciennes, trop de liens, et cela tient de l’ego. Je suis trop attaché à mes livres, à mes avoirs et pas assez désintéressé et détaché. Si je veux faire Un avec Dieu, l’ego doit lâcher prise.

    Le Soi ne va nulle part, il reste éternellement là où « je suis » ; c’est l’ego qui se déplace, va, vient, naît et meurt. « Je suis » est toujours égal à lui-même, sans nom et avec tous les noms, sans forme et avec toutes les formes.

    Je suis lourd à la détente pour le service dans mon entourage immédiat : je suis trop plein de mes problèmes personnels, notamment et surtout ceux relatifs à ma santé. Je rumine et le petit moi a alors le dessus et veut exister. Il en résulte un manque d’intérêt pour le service et la vie spirituelle, les deux exercices du matin et du soir étant exécutés sans entrain. Je ferai preuve de patience et de persévérance, et au moins prierai autant que possible, ne serait-ce que pour la paix dans le monde.

     

    JEUDI 5 MAI 1983

    D’abord l’âme, puis le reste, – l’esprit, l’intellect et le mental – qui émerge et émane de l’âme. L’âme est une parcelle de Dieu.

     

    DIMANCHE 8 MAI 1983

    Que je souffre physiquement ! Y prêterai-je attention ? Comment au niveau subjectif, mesurer la souffrance ? Mes douleurs sont très gênantes au niveau social, car mes besoins, urine et défécation, se produisent à tout moment et en tous lieux : il m’arrive fréquemment de changer de culotte à l’improviste, parce que je l’ai souillée, dans un buisson, si possible à l’abri des regards. Lorsque la douleur s’annonce, il est impossible de lui résister. Quelle erreur ais-je commise par rapport aux lois naturelles, pour tant souffrir ? La nuit – ô honte ! – je fais pipi au lit comme un bébé, et je porte à nouveau une couche. Sans doute cette énurésie est due à la peur et l’ego est-il encore trop attaché au besoin de reconnaissance par les autres ego. En effet lorsque l’ego se rebelle, il s’estime ne pas être reconnu pour ce qu’il est. Quelle leçon dois-je apprendre ?

    Le ciel, c’est le lieu dans notre âme, où l’Amour est purifié, comme dans un creuset : le feu du ciel, auquel se réfère Jésus-Christ, est un feu purificateur, qui brûle les imperfections. Sur le sentier, l’étude ne sert qu’à élargir le mental de manière ponctuelle. Si elle s’avère utile pour mon évolution, vivre reste essentiel : seule la vérité vécue est source de transformation.

    L’humilité n’est jamais vraiment acquise : l’humilité est indissociable de la simplicité d’être. J’apprendrai à reconnaître ma faiblesse, à l’accepter et à la dépasser et à ne pas me justifier par rapport aux autres.

    J’ai mal physiquement, psychologiquement et mentalement, mais je ne suis ni mon corps physique, ni mon corps psychique, ni mon mental. De plus je pourrai avoir encore plus mal. Cette douleur est le résultat du karma passé et je l’accepte stoïquement et calmement. Cette étape de ma vie m’apprend encore mieux le détachement : quitter, quitter des amis, une maison, ce sont là autant de « petites morts » qui préparent à la mort définitive, celle du corps.

     

    JEUDI 12 MAI 1983

    Seigneur Dieu, fais en sorte que je puisse Te rencontrer et voir Ton darshan.

     

    DIMANCHE 22 MAI 1983

    La maladie me submerge. Est-ce un retour à l’enfance ? Une régression du corps ? Je fais pipi au lit : faut-il l’accepter ? Faut-il se révolter ? Faut-il en rire ? D’une certaine manière c’est une façon de donner aux autres et d’offrir, puisque c’est le contraire de la retenue, du garder pour soi et donc de l’égoïsme.

    Que m’apprend la situation actuelle ? Je marche dans les rues de la ville et soudain, j’ai un sentiment de besoin d’uriner suivi du besoin de déféquer : si je ne le satisfais pas immédiatement, à un moment donné, je ne peux plus me retenir. Le besoin est tellement prégnant, qu’il est même inutile d’essayer de le contenir, car il y a un relâchement soudain, qui fait que je défèque dans mon pantalon. La leçon est que le corps est si peu le mien que je ne maîtrise plus rien. Le corps est entièrement livré au système nerveux autonome.

    Autre cas de figure : je suis assis sur un fauteuil, ou étendu sur un lit, ensommeillé. Tout à coup je m’éveille, mouillé de partout, avec de l’urine dégoulinante : c’est la situation qui tient le corps.

     Je fais don de tout à Dieu et m’identifie au Soi, à ce qui est permanent et éternel.

     

    LUNDI 30 MAI 1983

    Je m’accommode patiemment du bien comme du mal qui m’arrive. Qu’est-ce le vrai Bien ? C’est l’état unique auquel aucun autre n’est comparable, c’est la fusion dans l’Un.

    Tout est Un. « Tout » éteint. Le monde éteint « je ». Le monde est un Jeu. Tout est Un : « Tout » inclus le monde que je vois, ainsi que moi-même, le témoin du monde.

     

    SAMEDI 25 JUIN 1983

    La voie vers le souverain Bien est la connaissance de l’Un et la participation à l’Unité. Comment pourrais-je aimer les autres mieux qu’en sachant qu’ils sont aussi moi-même ? Toutes les actions appartiennent à Dieu.

     

    MERCREDI 20 JUILLET 1983

    La haine ne se justifie plus. Tout est bien puisque Dieu tient le gouvernail.

     

    DIMANCHE 31 JUILLET 1983

    J’ai appris avec douleur le décès de mon second frère, Jacques, ce jour à 14 heures 30 et cela m’a transpercé de douleur. Malgré le Soi, la séparation terrestre d’un être cher est, à chaque fois, une nouvelle mise en croix.

     

    SAMEDI 17 SEPTEMBRE 1983

    L’ego représente tous les aspects de la personnalité qui empêchent d’atteindre Dieu : pour faire Un avec Dieu, il faut perdre tout l’orgueil que je tire de mon pseudo savoir, de mon esprit d’indépendance et de ma volonté de séparativité. J’apprends le sens véritable de « lâcher prise ».

     

    SAMEDI 24 SEPTEMBRE 1983

    La raison est un merveilleux outil, une fois purifiée, c’est-à-dire unifiée et centrée sur l’Un. L’âme est descendue dans la matière, le corps ; en s’unissant avec le corps, l’âme a donné naissance au « corps psychique » – la raison, la mémoire, l’imagination, l’intellect et le mental. Ce sont des instruments formidables pour connaître le monde matériel et pour réaliser l’objectif de l’âme. Et pourtant ces éléments, dont je ne suis que le gérant, sont appelés à disparaître car ils font partie de Maya; seuls existent le Soi et la mort. Il n’y a pas le Soi et le petit moi, mais les deux sont le Soi : l’un est essentiel et l’autre secondaire.

    Dieu est mon gourou et Celui qui me mène à la Lumière.

     

    SAMEDI 15 OCTOBRE 1983

    La tension monte jusqu’au point de rupture. Tel un enfant qui apprend à nager dans l’Océan, Dieu me porte comme une mère et me préserve des dangers. Le plaisir d’apprendre et de nager augmente jusqu’au point ultime, jusqu’au point de rupture : je découvre alors que la main de Dieu n’est aussi qu’illusion et Maya. J’ai toujours été seul, il n’y a qu’Un et j’ai toujours fait Un avec l’Océan. La séparativité d’avec l’Océan n’était qu’illusion et orgueil. Après cette rupture, le système du monde poursuit normalement sa route, mais je suis conscient de l’Un : Béatitude ! Béatitude ! Béatitude !

    Cette semaine, j’ai « vu » Dieu dans le ciel : des nuages ont formé sa tête au-dessus de moi, gigantesque et majestueuse. Je l’ai appelé dans mon cœur, pas en vain. Puis tout s’est effiloché.

     

    DIMANCHE 23 OCTOBRE 1983

    Le monde va mal : l’immoralisme et le matérialisme dominent en raison de l’absence de spiritualité. Le renversement de tendance et des valeurs a débuté en 1926, puis, peu à peu, à partir des années 2022, l’Un triomphera et se fera connaître sous son véritable nom : « Amour ».

     

    JEUDI 5 JANVIER 1984

    Bilan de l’année 1983.

    Toute la question revient à changer mon regard : il ne s’agit pas d’annihiler le petit moi, qui est bien utile et même indispensable pour évoluer, dans le monde matériel, mais de ne plus m’identifier à lui.

    Je déserte le plus souvent possible le monde intellectuel. La question que je me pose le plus souvent est : « qui suis-je ? » et la réponse que j’apporte le plus fréquemment possible, sous forme de mantra, est : « Je suis Dieu. Je n’ai ni naissance, ni mort. Seul le corps meurt. Je suis le Soi. Je suis. Soi. Je ne suis ni le corps, ni le mental, ni l’intellect, ni la raison. Le corps, le mental, l’intellect et la raison, une fois purifiés, sont mes amis. Je les aime. J’ai aussi un cœur – sentiments et émotions – et un ventre – instincts et passions –. Je suis un canal ouvert aux sentiments et aux instincts beaux, justes, vrais et bons. Que mon amour, mon cœur et mon ventre soient dédiés à Dieu, et seulement à Dieu ».

    L’année 1983 a été une année de sortie de crise, la crise la plus importante étant une nouvelle « Nuit Obscure », avec des doutes et des retours en arrière du point de vue spirituel. Je m’en suis sorti en mettant tout dans la main de Dieu : que Sa volonté soit faite !

    Ceci démontre, s’il en est besoin, mon attachement à la réalité terrestre, à l’illusion, car les mauvais moments frappent mon petit moi, encore très sensible. Tout ce qui m’arrive est fait par les frères supérieurs pour mon évolution spirituelle.

    Autour de moi, les amis souffrent ou meurent et me voilà devenu un frère aîné. Les enfants ont grandi et d’autres amis vieillissent. Mon seul objectif est de me rattacher à mon Maître intérieur, « père et mère divins ».

     

    SAMEDI 10 MARS 1984

    Voici les vœux que je formule en ce jour pour ma prochaine réincarnation :

    Je serais heureux de suivre à nouveau le sentier rosicrucien, afin de parfaire mon évolution spirituelle.

    Je souhaiterais vivre où le Cosmique le jugera le plus opportun pour mon évolution, sur terre ou ailleurs. J’aimerais exercer la profession la plus utile à mon bien-être et à celui d’autrui.

    Je voudrais me souvenir de mon gourou, le Soi, et fusionner avec Lui.

     

    DIMANCHE 18 MARS 1984

    Je suis atteint d’un cancer généralisé, plus précisément une leucémie. Que Dieu ait pitié de mon corps !

    Seigneur Dieu que j’atteigne Ta Demeure, afin de ne plus renaître ! Que je fasse Un avec Tes pieds de lotus ! Amen.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    EPILOGUE

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

    Sont publiés successivement :

    - Le testament de Pierre Quader ;

    - Le texte lu par les frères de Pierre Quader lors de la remise de l’urne funéraire à sa famille ;

    - L’épitaphe de Pierre Quader.

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     

     


    1) Le testament de Pierre Quader :

    A ma famille, à mon médecin, au prêtre, à mon avocat :

    S’il arrive un moment où je ne puis plus prendre de décision en ce qui concerne mon propre avenir, ma volonté est que ce document soit considéré comme le testament de ce que je désire.

    Si l’on ne peut raisonnablement pas s’attendre à une guérison physique, mentale ou spirituelle, je, soussigné Pierre Quader, demande que l’on me laisse mourir et que je ne sois pas maintenu en vie par des moyens artificiels ou des mesures héroïques. Cela n’inclut pas les médicaments administrés par compassion, dans la phase terminale, afin d’éviter de trop grandes souffrances.

    J’attache beaucoup de valeur et de dignité à la vie : je ne demande donc pas que l’on mette fin à ma vie, mais que mon agonie ne soit pas prolongée de manière déraisonnable, et que la dignité de la vie soit respectée.

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