• Le Dragon et le Phénix

    Dans les loges, il s’agit, non pas de proclamer les principes de « Liberté, égalité, fraternité, laïcité » seulement en théorie, mais aussi de faire en sorte que ces principes puissent progresser en pratique. C’est ce qu’ont fait les francs-maçons et certaines loges, en adhérant sur le terrain et dans l’action, aux idéaux de la Commune. C’est ce qu’a refusé de faire, l’obédience du Grand-Orient de France, en prenant fait et cause pour le gouvernement de Thiers, et ce, au moins jusqu’en 1880, date de l’amnistie.

    LE DRAGON ET LE PHENIX :

     

    1) Le mariage du Dragon et du phénix :

    D’où vient la Commune de Paris et où va-t-elle ?

    Il faut imaginer un dragon, sous le sol, qui parcourt l’Histoire depuis toujours. Parfois, lorsque les conditions sont favorables, ce dragon s’ébroue, et cela constitue des « tremblements de terre », c’est-à-dire des crises sociales et des révolutions. Telle une taupe, ce dragon creuse inlassablement le sol, faisant surface par intermittence. Ce dragon, c’est le peuple, les « bras nus » de 1792, les sans-grades et les prolétaires de 1848 et de 1870-1871, les chômeurs, les sans-abris, les mal-logés et les exploités d’aujourd’hui.

    Ce dragon a fait surface en 1792-1794, puis à nouveau en 1831, en 1848, en 1870-1871, en 1939-1945, en 19689,…

    Ainsi, ce dragon fait son apparition sur la scène de l’Histoire lorsque les conditions objectives s’y prêtent. La fonction des classes sociales possédantes est de contenir ce dragon, de le dompter : d’où les répressions sanglantes de 1792-1815, contre les sans-culottes, les hébertistes, Babeuf, les jacobins,…, puis les fusillades contre les barricades en 1848 , le massacre de Communards en 1871.

    Chaque fois que commence un mouvement révolutionnaire, souvent initié par la bourgeoisie, comme en 1848, les classes populaires veulent aller plus loin, et obtenir la démocratie directe, des droits sociaux et économiques, substituer à la République bourgeoise une République Sociale. Par réaction dans ces moments-là, face au mouvement d’approfondissement des masses populaires, les classes possédantes refont leur union, afin de contenir les non possédants : c(est le cas des Montagnards et des Girondins, ainsi que les aristocrates les moins conservateurs et les bonapartistes, en 1892-1815 ; c’est le cas également des divers monarchistes (légitimistes, orléanistes et bonapartistes) et des Républicains opportuniste (Thiers, Gambetta,…) en 1871, contre les Communards, les « rouges » et les « partageux ».

    Et quelle fonction joue le Phénix, c’est-à-dire la franc-maçonnerie, dans ces périodes tourmentées ?

    Les francs-maçons ont une image de personnes modérées, plutôt conciliateurs (plutôt progressive, à défaut d’être progressiste) et traditionnelles (plutôt tournées vers le passé, et donc conservatrices), qui sont « amis des riches et des pauvres ».

    Or l’étude de l’Histoire montre que les francs-maçons se scindent en deux camps : ainsi, en 1789, il y a des maçons du côté des émigrés et des royalistes, du côté des monarchistes favorable à une monarchie constitutionnelle, des républicains modérés et du côté des républicains les plus radicaux et « enragés ».

    Il en est de même en 1870-1871. On trouve des maçons du côté des généraux et militaires bonapartistes, massacreurs du peuple, qui se sont mis sans vergogne au service de l’Assemblée réactionnaire des Versaillais. Il y a également de nombreux maçons du côté des républicains modérés et bourgeois, défendeurs d’un certain ordre moral, à la fois anti monarchistes, anticléricaux, mais tout autant anti communards, tels Favre, Ferry, Gambetta. Ces derniers seront les créateurs des institutions de la III° République, sur la base de l’écrasement des idéaux de la Commune de Paris. Par exemple, sur les onze ministres du Gouvernement de la Défense nationale, gouvernement contre lequel s’élève la Commune de 1871, on ne compte pas moins de 8 ministres francs-maçons, et dix ministres francs-maçons, si l’on ajoute les deux Jules, Jules Ferry et Jules Favre, initiés ultérieurement. Enfin d’autres francs-maçons s’engagent résolument dans le mouvement de la Commune, tel Jules Vallès. Ainsi, le Conseil central de la Commune compte, dès son origine, une vingtaine de francs-maçons, soit environ le quart de l’effectif. Sans compter que certains communards deviendront francs-maçons, après le mouvement de la Commune, telle Louise Michel.

    Et qu’en est-il de la franc-maçonnerie, en tant qu’organisation : quelles ont été les réactions des structures, telles les obédiences et les loges, lors du mouvement de la Commune de Paris, par exemple ?

    Les loges parisiennes ont d’abord tenté un effort de conciliation, et face à l’obstination de Thiers (et de son gouvernement, comprenant notamment Jules Favre), d’en finir avec la Commune par un bain de sang, ces loges se sont placées du côté de la Commune, avec les Compagnons du Devoir. On peut donc dire qu’il y a une procédure, une démarche des membres des loges de Paris, menées par Thirifocq, d’adhésion aux idéaux de la Commune, puis d’engagement dans l’action violente aux côtés des Communards.

    Il en est de même de certaines loges de province, comme à Marseille (Crémieux) et à Rouen.

    Par contre, concernant les obédiences, celles-ci font allégeance à Thiers et s’oppose frontalement à la Commune. La Commune ne sera récupérée par ces obédiences, comme moment de mémoire, qu’à compter de l’amnistie accordée aux Communards à compter de 1880.

    Ceci repose en partie sur la nature du recrutement des loges. Ainsi, à compter de 1850, la franc-maçonnerie recrute un public de petits-bourgeois, ouvriers, artisans, boutiquiers, instituteurs, …etc., qui n’auraient jamais été recrutés dans les loges du début du XIX° siècle, ou en tout cas dans les mêmes loges où se côtoyaient les aristocrates et la haute bourgeoisie.

    Mais il est certain que les valeurs défendues par les Communards en 1871 (Liberté, égalité, fraternité, laïcité, enseignement obligatoire et gratuit pour tous, culture pour tous, travail pour tous, démocratie directe, émancipation des femmes, etc.) étaient bien les mêmes valeurs que ceux de la franc-maçonnerie. La guerre engagée par Thiers pour éradiquer la Commune n’a pas permis aux Communards de mettre en œuvre leur programme.

     

    A ce jour, les Communards étant décédés, il est possible d’apprécier, dans leur ensemble, la vie de chacun de ceux-ci, au regard de leur poids par rapport à l’Histoire. Quelle est l’évolution des francs-maçons après la période intense de la Commune, et en particulier des francs-maçons qui se sont fortement impliqués dans le cadre des idéaux communaux ?

    A la fin du XIX° siècle, il y a différents marqueurs politiques (boulangisme, affaire Dreyfus) et sociétaux (luttes pour l’enseignement obligatoire et gratuit, la laïcité et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, le droit des femmes,…) qui permettent de mesurer l’engagement de chacun. Dans ce cadre, certains francs-maçons restent fidèles aux idéaux communaux jusqu’au terme de leur vie (Louise Michel,…), et d’autres francs-maçons trahissent ces idéaux, par opportunisme, adhésion au boulangisme (qui est une forme primaire de fascisme), par nationalisme, et même par antisémitisme (les antidreyfusards), comme ce sera le cas de Malon ou Rochefort.

     

    2) VI° République bourgeoise ou II° République sociale ?

    Les frères et sœurs qui invoquent la république en fin de tenue devraient préciser de quelle république ils parlent. En effet :

    La première république a régressé de façon réactionnaire après le 9 Thermidor, voyant l’instauration du Directoire, de la dictature napoléonienne, puis la Restauration.

    La révolution de 1830 avait amené l’abaissement du cens législatif (à 200 francs) et la suppression de l’hérédité de la pairie. Elle avait aussi suscité deux lois fondamentales en 1831 :

    ·        L’une réanimait la Garde nationale ;

    ·        L’autre instituait l’élection pour la désignation des conseils municipaux.

    La seconde république de 1848 a fait tirer sur le peuple, conduisant à la victoire du plébiscite en faveur de Napoléon III ; journées de février 1848, qui mirent fin à la monarchie, mais aussi journées d’insurrection ouvrière de juin 1848, réprimées dans le sang. L’Assemblée constituante, composée majoritairement d’éléments modérés, qui n’hésiteront pas deux mois plus tard à recourir à la violence la plus extrême pour noyer dans le sang les revendications légitimes des insurgés de Juin.

    Les acteurs de la Révolution de février 1848 se sont divisés en deux camps. Le premier, celui de la bourgeoisie, est satisfait de la mise en place de la République telle qu’elle est. Le second, celui des ouvriers, veut une République sociale, dont les mots d’ordre sont repris en juin. Une grande partie du peuple parisien se détournera de cette République qui fait tirer sur le peuple.

    La naissance de la troisième république est née sur l’extermination de la Commune de Paris en 1871 (30 000 morts).

    Selon le mot de Jules Ferry, la première République nous a donné la terre, la seconde le suffrage et la troisième le savoir.

    Les quatrième et cinquième républiques ont vu le développement des guerres coloniales (Indochine, Algérie,…) et la trahison du parti communiste français.

    IV° république : Ceux qui sont morts pour libérer la patrie, notamment les communistes et Eugénie Ferrari, dans le Pas-de-Calais, avaient le souhait d’une France nouvelle, qui a été trahie, en particulier par de Gaulle.

    V° République : La V° République est issue du coup d’Etat de Charles de Gaulle en 1958, avec en arrière-plan le coup d’Etat militaire en Algérie, et l’arrivée « providentielle » du général de Gaulle.

    Maurice Thorez, Fils du Peuple pages 318 et 319 :

    « Un coup sérieux a été porté à la classe ouvrière et à la démocratie. En effet, le gouvernement de Gaulle n’est pas un gouvernement comme les autres. Le voile de légalité dont il s’est couvert, le respect apparent des formalités de l’investiture au Parlement, certaines manœuvres du chef du gouvernement pour composer avec ce qu’il appelle le « système » et les hommes du « système », rien de tout cela ne peut masquer le fait essentiel : de Gaulle a été porté au pouvoir non par la volonté libre de l’assemblée nationale, mais par les coups de force d’Alger et d’Ajaccio. Le gouvernement de Gaulle est un gouvernement foncièrement illégitime, issu de la violence et de la menace réactionnaires. »

     

    Il s’agit donc là de républiques bourgeoises. Les seules républiques ayant tenté d’instaurer des valeurs de fraternité et d’égalité sont les tentatives de 1792 à 1794 et de la Commune de Paris en 1871 !

     

    Aussi les thuriféraires de la VI° République, justifiée par le « coup d’Etat financier »,  doivent-ils préciser de quelle nature est la nouvelle République qu’ils souhaitent instaure : soit une République en continuation avec les cinq républiques précédentes, donc une république bourgeoise, qui ne modifie rein, notamment en matière de répartition des richesses, soit une république en rupture avec les républiques précédentes, une république socialiste, qui implique la socialisation des moyens de production, et qui ne saurait donc être qu’une dictature du prolétariat, prolétariat allié avec les autres classes sociales exploitées, à l’image de la préfiguration que fut la Commune de Paris. Dans ce cas, afin de mettre l’accent sur la rupture par rapport aux cinq républiques bourgeoises antérieures, ne faudrait-il pas parler de Première République, socialiste, ou à la rigueur de Deuxième République, si l’on considère la Commune de Paris comme une préfiguration, même embryonnaire.

     

    Ainsi, entre la république bourgeoise et la république sociale, il y a un abîme. La république proclamée le 4 septembre 1870 est une république bourgeoise, et elle voulait le rester.

     

    Ceux qui prônent une VI° république (Montebourg, Mélenchon, etc.) se placent donc résolument dans la continuité des cinq républiques bourgeoises : ils veulent seulement réformer un système arrivé en bout de course, et non pas le détruire pour le remplacer par un système nouveau, socialiste. La rupture, c’est prôner une 1° république sociale, ou alors une II° république, dans la continuation des principes fondateurs de la Commune de Paris. En 1870, il y avait d’un côté » la bourgeoisie, avec une bourgeoisie de droite (Thiers,…), prête au compromis avec l’aristocratie, contre les classes laborieuses, et une bourgeoisie de gauche (Gambetta, Clemenceau,…), favorable à une république plus « sociale », et de l’autre côté, le peuple, mené par le prolétariat. C’est ainsi que les thuriféraires de la VI° république sont plus proches des Gambetta et Clemenceau, que des CommunardEs.

     

    Dans les loges, il s’agit, non pas de proclamer les principes de « Liberté, égalité, fraternité, laïcité » seulement en théorie, mais aussi de faire en sorte que ces principes puissent progresser en pratique. C’est ce qu’ont fait les francs-maçons et certaines loges, en adhérant sur le terrain et dans l’action, aux idéaux de la Commune. C’est ce qu’a refusé de faire, l’obédience du Grand-Orient de France, en prenant fait et cause pour le gouvernement de Thiers, et ce, au moins jusqu’en 1880, date de l’amnistie.

    Et demain, si le dragon entre à nouveau en scène, pour donner un coup d’accélérateur à l’Histoire, le Phénix acceptera-t-il de se marier avec le Dragon, ou sera-t-il aux côtés des forces sociales rétrogrades ?

    Sans doute, la Tradition a son importance, mais il faut aussi prendre partie pour les forces de l’avenir. Et incontestablement, même si sur le moment, ce fut un échec, les forces de la Commune appartenaient à l’avenir. Ce qui naît et se développe est plus fort et plus puissant que ce qui est vieux et dépérit. Le sens de l’Histoire, c’est la Commune, et non Versailles. A preuve, quelques années plus tard, sans doute grâce au coup de bélier donné par la Commune, les principaux idéaux, que les Communards n’avaient pas pu mettre en œuvre, en raison des forces réactionnaires de Versailles, ont été mis en pratique par les Républicains opportunistes de la III° République : l’école gratuite et obligatoire, dans le primaire, la laïcité et la séparation de l’Eglise et de l’Etat, etc.

    Le Dragon est réapparu en 1917, en Russie, pour une cinquantaine d’années, puis en Chine, pour une trentaine d’années. Il est réapparu en France en 1936, 1945, 1968, 1981, 1997, 2005. Sans être devin, le moment approche de sa réapparition : alors chaque franc-maçon devra choisir son camp, soit l’ordre moral des possédants, soit l’ordre social des non-possédants. D’ores et déjà, le choix doit se faire entre une VI° République bourgeoise ou une II° République sociale, à l’image de la Première République que fut la Commune de Paris !

     

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