• La dictature du prolétariat (Partie 57)

    Toutes les expériences de l’histoire sont là pour démontrer la nécessité absolue d’une transformation profonde sur le plan idéologique, d’une inévitable révolution idéologique permanente, si l’on désire aboutir de manière durable aux objectifs proposés par la révolution elle-même. De ce point de vue le phénomène de dégénérescence de la société soviétique par rapport aux idéaux bolcheviks, si magistralement proclamés par Lénine au moment même de la tourmente que fut la victorieuse Révolution d’Octobre 1917 constitue un exemple par la négative.

     

     

    1. LA DICTATURE DU PROLETARIAT

     

    La classe ouvrière, dans le cadre de la société capitaliste, est aliénée par la classe de la bourgeoisie capitaliste des moyens de production. Pour libérer les travailleurs, il importe donc de rejeter tous les éléments de cette aliénation : la domination de classe, l’Etat qui en constitue l’instrument principal, et la hiérarchie et l’autorité qui en représentent les plus efficaces supports. Les communistes, fidèles au marxisme-léninisme, aspirent à une société libératrice de toute aliénation, à une société sans classe ; c’est leur objectif stratégique final : le communisme.

    « Ce que nous appelons communisme, c’est le régime où les hommes s’habituent à remplir leurs devoirs sociaux sans appareils de contrainte spéciaux, où le travail sans rémunération pour le bien commun devient un phénomène général. » (229)

    Mais il faut être prudent et ne pas se hasarder à en décrire dans le détail les structures et caractéristiques formelles et cela simplement parce que la théorie ne peur naître que de l’expérience, de la pratique. Lénine souligne que pour ceux qui font les tout premiers pas hors du capitalisme, la notion de « communisme » est encore très lointaine. Mao Tsetoung ne craint pas d’indiquer qu’à son avis, quelques siècles de lutte seront encore indispensables pour que s’épanouisse enfin cette société que Marx et Engels annonçaient.

    Comment s’effectuera le passage historique de notre société de classe, le capitalisme, à cette société où toutes les contradictions de classes auront disparues ? Comment parviendra-t-on à la suppression des différences entre travail industriel et travail agricole, entre travail manuel et travail intellectuel ?

    De tels problèmes ne trouveront pas de solutions sans une longue et difficile lutte contre les forces, les habitudes, les structures anciennes et, bien entendu, non sans qu’ait été arraché au préalable le pouvoir que détiennent les capitalistes. Il faut partir des réalités : envisager par priorité la destruction du capitalisme et de sa forme suprême, l’impérialisme, car ils ne sont pas encore détruits (« Nous vivons toujours à l’époque de l’impérialisme »). La question décisive qui se pose actuellement aux peuples opprimés, aux prolétariats exploités du monde entier, c’est la question du pouvoir.

    Mais Lénine le souligne à différentes reprises, mettre l’exploiteur hors d’état de nuire et lui donner le coup de grâce ne constitue que la moitié de la tâche, et la moitié la plus facile :

    « Il est bien plus facile de conquérir le pouvoir à une époque révolutionnaire que de savoir user convenablement de ce pouvoir. » (230)

    Ceci parce que les « défauts » (existence des classes, nécessité de l’Etat…) remontent au passé, lequel, s’il a été bouleversé, n’est pas encore aboli. Mao Tsetoung dira qu’il faut « mener la révolution jusqu’au bout ». D’où la nécessité d’une période de transition de dictature du prolétariat, le socialisme, première phase du communisme :

    « Si nous nous demandons ce qu’est le communisme, ce qui le distingue du socialisme, nous devrons dire que le socialisme est la société qui naît immédiatement du capitalisme, la première forme de la société nouvelle. Quant au communisme, c’est une forme sociale plus élevée et ne pourra se développer que lorsque le socialisme se sera totalement consolidé. » (231)

    Cette période de transition qui se situe entre le capitalisme et le communisme doit donc forcément comporter les particularités propres à ces deux structures économiques de la société. Cette phase transitoire est une période de lutte entre l’agonie du capitalisme et la naissance du communisme, entre le capitalisme vaincu mais pas anéanti et le communisme déjà né mais encore très faible.

    D’une part la bourgeoisie a perdu le pouvoir politique, son Etat est détruit, on lui a arraché les moyens de production. Mais on ne peut « abolir » la bourgeoisie en tant que classe. Il subsiste des « places » politiquement, idéologiquement, économiquement et administrativement bourgeoises. La bourgeoisie continue d’exister et elle est d’autant plus hargneuse qu’elle espère encore recouvrer le « paradis perdu ». Pendant un certain temps, elle reste même plus puissante. Elle reste forte du point de vue politique (relations internationales, monopole de la connaissance technique sur l’administration et la comptabilité, le contrôle et le recensement des biens sociaux), idéologique (façon de vivre et de penser, mœurs…) et économique (l’argent continue d’exister, permettant l’appropriation privée des biens produits socialement ; il est utopique de vouloir supprimer l’argent par « décret » et il continue d’exister encore longtemps. Et surtout, la petite production, qui crée à chaque moment du capital et donc aussi des exploités). Aussi :

    « La conquête du pouvoir politique par le prolétariat ne met pas fin à la lutte de classe contre la bourgeoisie : bien au contraire, elle la rend plus large, plus sévère et plus implacable. » (232)

    C’est justement après le renversement de la bourgeoisie que la lutte des clases prend les formes les plus développées et les plus brutales. Ceux qui pensent qu’après la prise du pouvoir par le prolétariat, et la destruction de l’Etat bourgeois, tout est fini se trompent eux-mêmes et trompent les autres, consciemment ou non : loin que tout soit fini, tout ne fait que commencer. C’est là le propre de réformistes et de révisionnistes, « marxistes-léninistes » en paroles, qui se révèlent opportunistes après la victoire des masses sur le capitalisme : aussi convient-il de démasquer ces traîtres dans les rangs du prolétariat révolutionnaire.

    Staline écrit, dans L’homme, le capital le plus précieux, au moment de l’édification du socialisme, en Union soviétique :

    « Il faut en finir avec la bénignité opportuniste qui part de cette supposition erronée qu’à mesure que nos forces croissent, l’ennemi deviendrait plus apprivoisé et inoffensif. Cette supposition est foncièrement erronée. Elle est un relent de la déviation de droite, assurant à tous et à chacun que les ennemis s’intègrent tout doucement dans le socialisme. Ce qu’il nous faut, ce n’est pas la bénignité, mais la vigilance révolutionnaire bolchevik. Il ne faut pas oublier que plus la situation des ennemis sera désespérée et plus volontiers ils se raccrocheront aux moyens extrêmes, comme unique recours de gens voués à leur perte dans leur lutte contre le pouvoir soviétique. » (233)

    L’analyse de la situation par Staline est très juste, et l’évolution ultérieure de l’Union soviétique allait le prouver, c’est-à-dire la prise du pouvoir par la nouvelle bourgeoisie révisionniste avec Khrouchtchev à leur tête. Les authentiques révolutionnaires bolcheviks et les masses soviétiques ne surent pas se donner les moyens théoriques et pratiques permettant d’exercer avec justesse leur vigilance sur tout, de réprimer par la violence les ennemis au socialisme, et de gagner par la persuasion, la lutte idéologique, et les mesures révolutionnaires le peuple au socialisme.

    L’exercice de la violence de façon résolue, est le premier aspect que suppose la DICTATURE du prolétariat. Cette violence juste et implacable a pour but d’écraser la résistance des exploiteurs, capitalistes et grands propriétaires fonciers, et de leurs suppôts révisionnistes, qui trahissent la cause socialiste en prêchant la « modération », la « réconciliation » des classes, et la collaboration des classes ; leur but est de désarmer le peuple idéologiquement et militairement, pour le soumettre aux exploiteurs.

    Mais ce n’est pas la violence seule, et ni principalement la violence, qui fait le fond de la dictature du prolétariat. Le second aspect de la dictature du prolétariat est primordial : l’essence de la dictature du prolétariat, c’est la démocratie prolétarienne, c’est-à-dire le mécanisme qui consiste à partir du peuple pour retourner au peuple, le lien aux masses et la ligne de masse.

    Le premier aspect de la dictature du prolétariat, la violence nécessaire contre les anciens exploiteurs et leurs alliés révisionnistes est un héritage de l’ancienne société ; ce « reste » de l’ancienne société est destiné à disparaître au fur et à mesure du renforcement de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire de la suppression des classes et de l’extinction de l’Etat, instrument de domination. Cette violence a complètement disparu au stade supérieur du communisme.

    Le second aspect de la dictature du prolétariat, c’est-à-dire la démocratie pour le peuple, est quelque chose de tout à fait nouveau, destiné à se développer : ce qui est essentiel c’est la discipline prolétarienne des uns sur les autres, l’autodiscipline exercée par la persuasion, la critique et l’autocritique, car le peuple ne saurait « exercer la violence sur lui-même ».

    Un des critères pour juger de la nature de classe d’une société (socialiste ou capitaliste ?) est de voir quelle classe détient le pouvoir d’Etat, quelle est la nature de classe de l’Etat, autrement dit, qui exerce la violence sur qui : si la masse est tenue à l’écart de la gestion de l’Etat, c’est une dictature de la bourgeoisie, et l’Etat est un Etat capitaliste, peu importe sa forme, république démocratique bourgeoise comme en France aujourd’hui, ou dictature social fasciste de type hitlérien comme en Union soviétique depuis l’arrivée des révisionnistes au pouvoir. Si la masse participe de plus en plus à la gestion de l’Etat, tenant à l’écart la bourgeoisie et ayant pour but final l’extinction de l’Etat, tendant sans cesse vers ce but, alors nous avons affaire à une dictature du prolétariat, et l’Etat est un Etat prolétarien, peu importe sa forme historique, assemblées générales de la Commune ou Soviets de Russie.

    Ce but de la dictature du prolétariat est de fonder le socialisme, de supprimer la division de la société en classes, de faire de tous les membres de la société des travailleurs, et de priver de base toute exploitation de l’homme par l’homme. Cette édification du socialisme se fait avec les éléments d’un capitalisme renversé : ces hommes donc proviennent d’une société où l’idéologie dominante était fondée sur l’exploitation, sur la recherche individuelle du profit, sur l’égoïsme, sur le mépris du travail manuel. Ces hommes sont, sans préparation, projetés du jour au lendemain dans des conditions d’existence entièrement nouvelles, et où on fait appel à leur initiative et à leur responsabilité personnelles. Mais on ne doit pas dire à ces gens : « débrouillez-vous » et, au nom de la « liberté » nouvellement acquise, les laisser entièrement livrés à eux-mêmes et à eux seul. Il est certain que nombreux sont parmi eux ceux qui vont dégénérer, du fait de leurs habitudes, de ce qu’ils ont vu et vécu jusque là : en cela, la dégénérescence de l’Union soviétique constitue un exemple par la négative, qu’il convient d’étudier à fond.

    La dictature du prolétariat est une dictature qu’exerce le peuple révolutionnaire, sous la direction du prolétariat révolutionnaire organisé en parti marxiste-léniniste, c’est-à-dire la dictature est exercée par la fraction du peuple préparée et éduquée à cet effet par le capitalisme et le marxisme-léninisme.

    « L’ouvrier n’a jamais été séparé de l’ancienne société par une muraille de Chine. Et il a conservé une bonne part de la psychologie traditionnelle de la société capitaliste. Les ouvriers construisent une société nouvelle, sans s’être transformés en hommes nouveaux, débarrassés de la boue du monde ancien ; ils sont encore jusqu’aux genoux plongés là-dedans. Le nettoyage de cette boue ne peut être encore qu’un rêve ? Ce serait l’utopie la plus fallacieuse de penser qu’on peut le faire sur le champ ! » (234)

    Il n’est pas vrai que le « nouveau » s’improvise, qu’il naît de la seule spontanéité, du « hasard » qui ferait bien les choses. Il n’est pas vrai que l’on puisse laisser l’initiative du nouveau aux masses.

    La dictature du prolétariat est exercée par le peuple révolutionnaire mais celui-ci demeure profondément lié au peuple entier, l’amenant au fur et à mesure, par sa libération des exploiteurs et par l’application de mesures révolutionnaires, à participer pleinement à la gestion de l’Etat. Ce mécanisme qui fait que le prolétariat révolutionnaire, organisé en parti, aspire l’énergie révolutionnaire de tout le peuple, et épure ses rangs en luttant et en écartant tous les éléments corrompus, exploiteurs et oppresseurs, les éléments dégénérés et opportunistes, ainsi que les éléments bureaucrates qui s’éloignent de plus en plus du peuple, ce mécanisme constitue l’essence de la dictature du prolétariat. Si ce mécanisme fonctionne bien, c’est-à-dire si l’avant-garde révolutionnaire reste fidèle au marxisme-léninisme, applique bien le marxisme, et corrige ses erreurs comme il faut, la dictature du prolétariat se renforce et le pouvoir socialiste s’accroît. Si ce mécanisme fonctionne mal, c’est-à-dire si l’avant-garde révolutionnaire ne lutte pas dans ses rangs et à l’extérieur comme il faut contre l’impérialisme et l’opportunisme, la dictature du prolétariat s’affaiblit et le pouvoir socialiste décline : par un bond qualitatif, il peut même se transformer en son contraire, comme cela a été le cas en Union soviétique, ou le pouvoir est à nouveau passé pour quelques temps aux mains d’une bourgeoisie des plus réactionnaires.

    Il est très important de connaître l’essence de la dictature du prolétariat, aussi allons-nous étudier dans les paragraphes suivants :

    • A) Le lien aux masses

    • B) La ligne de masse

    • C) Le contrôle ouvrier

    • D) Le dépérissement de l’Etat

     

    Le dépérissement de l’Etat est en effet le but final et le résultat de la dictature du prolétariat : la dictature contient en germe l’extinction complète de l’Etat. La dictature du prolétariat est une période de transition entre le capitalisme et le stade supérieur du communisme ; aussi l’Etat de la dictature du prolétariat est un Etat transitoire entre l’Etat bourgeois et le non-Etat. Ce n’est plus un Etat au sens propre.

     

    L’essence de la dictature du prolétariat, c’est de partir du peuple pour retourner au peuple ; cette dictature est exercée uniquement par le peuple révolutionnaire, et il ne peut en être autrement. Mais le but que se fixe l’avant-garde révolutionnaire est de rapprocher sans cesse le peuple entier de la gestion de l’Etat, de régler en commun les affaires sociales, communes. La relation entre l’avant-garde et l’ensemble du peuple est un va-et-vient pendulaire du bas vers le haut et du haut vers le bas : les deux, le bas et le haut, sont indissociables, autrement il n’y a pas ou il n’y a plus dictature du prolétariat. En effet, nous avons vu qu’il n’est pas possible de laisser l’initiative du nouveau, l’édification de la nouvelle société à la spontanéité des masses : ce serait un retour inévitable à l’ancien. Il faut aller du haut vers le bas. Mais nous avons vu aussi qu’il est impossible aux communistes seuls d’édifier la nouvelle société ; seul la masse est le héros de l’histoire, et elle est seule capable de se saisir du nouveau et de détruire l’ancien. Il faut aller du bas vers le haut.

    Ce mécanisme est un : dissocier ses deux aspects, c’est commettre une erreur. Aller uniquement du haut vers le bas, c’est commettre une erreur : l’autoritarisme. Le marxisme-léninisme est l’ennemi de l’autoritarisme ; on ne peut utiliser la contrainte et la violence d’aucune sorte à l’égard du peuple, si on est lié au peuple. Staline a parfois commis cette erreur.

    Si on commet l’erreur, il convient de la corriger. Si on la commet de nombreuses fois, on court le risque de couper l’avant-garde révolutionnaire de la masse, et donc de transformer le contenu idéologique prolétarien de l’avant-garde en son contraire, en une idéologie bourgeoise, qui impose ses mesures au peuple par la ruse, le mensonge, le secret, en tout cas toujours par la contrainte et la violence.

    Une autre forme de l’autoritarisme, qui donne le même résultat, le renforcement de l’idéologie bourgeoise, est le désir d’ « introduire » le « socialisme » par en haut : c’est ce que se proposait Trotski. Ceci est dû à un manque de confiance dans les masses, qui, s’il n’est pas extirpé, mène à un renforcement de la bourgeoisie.

    La révolution, c’est-à-dire la prise du pouvoir dans un premier temps, ne suffit pas pour transformer fondamentalement toutes les structures anciennes. Si elle brise l’Etat de la classe exploiteuse, il ne suffit pas de quelques décrets pour mettre en place des structures nouvelles. On ne peut « introduire » le socialisme à l’aide d’un « plan » élaboré en chambre. De plus on ne peut que retarder l’édification du socialisme et la compliquer avec des mesures législatives ou administratives précipitées ou imprudentes. Le socialisme est justement l’entrée sur la scène historique des masses qui font l’histoire : il s’agit seulement d’aider les masses à se dégager des anciennes entraves, en leur apportant la conscience de ce qu’elles sont : la force motrice de l’histoire, le héros qui crée la société nouvelle.

    « Les ouvriers et les paysans n’ont pas encore suffisamment confiance en eux-mêmes, en leurs propres forces ; une tradition séculaire les a trop habitué à attendre des ordres d’en haut. Ils ne se sont pas encore complètement faits à l’idée que le prolétariat est la classe dominante, et l’on compte encore parmi eux des éléments terrorisés, comprimés, qui s’imaginent devoir passer par l’ignoble école de la bourgeoisie. » (235)

    Toutes les expériences de l’histoire sont là pour démontrer la nécessité absolue d’une transformation profonde sur le plan idéologique, d’une inévitable révolution idéologique permanente, si l’on désire aboutir de manière durable aux objectifs proposés par la révolution elle-même. De ce point de vue le phénomène de dégénérescence de la société soviétique par rapport aux idéaux bolcheviks, si magistralement proclamés par Lénine au moment même de la tourmente que fut la victorieuse Révolution d’Octobre 1917 constitue un exemple par la négative.

     

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